
« Monde d'Après » : 5 ans après,
le grand rendez-vous manqué
Il y a cinq ans, en mars 2020, alors que la pandémie de Covid-19 s'apprêtait à confiner le pays, les mots d'Emmanuel Macron résonnaient comme une promesse : celle d'un « monde d'après », différent, où la santé gratuite et l'État-providence seraient reconnus comme des atouts indispensables, où la souveraineté productive serait regagnée et où les leçons de la crise transformeraient nos modes de vie et de travail.
Cinq ans plus tard, l'heure est au bilan. Si des changements sont perceptibles, le constat dressé par l'analyse d'Alternatives Economiques est sans appel : le « monde d'avant » à la vie dure, et nombre des transformations espérées peinent à se concrétiser.
1. L'Hôpital public : toujours sous tension
La promesse d'un système de santé revalorisé, considéré non plus comme un coût, mais comme un investissement vital, semble lointaine. Malgré l'engagement héroïque des soignants salué pendant la crise, l'hôpital public est « loin d'être guéri ».
La décennie d'austérité pré-Covid a laissé des traces profondes.
- Les fermetures de lits se poursuivent, souvent par manque de personnel,
- les services d'urgence restent engorgés,
- l'activité peine à retrouver son niveau d'avant-crise et
- la situation financière demeure critique, avec des déficits abyssaux et des infrastructures vieillissantes.
Le virage préventif, pourtant jugé nécessaire, tarde à s'amorcer.
2. Travailleurs Essentiels : les héros oubliés ?
Les applaudissements aux balcons se sont tus, et la reconnaissance promise aux travailleurs de première et seconde ligne parait s'être évaporée.
Ces salariés, souvent moins diplômés, plus précaires et moins bien payés, n'ont globalement pas vu leurs conditions de travail ou leurs salaires s'améliorer significativement, surtout dans la seconde ligne (commerce, nettoyage, transports).
L'inflation a même érodé leur pouvoir d'achat. Le manque d'attractivité incite certains à quitter ces métiers essentiels, accentuant les difficultés de recrutement, notamment dans la santé. Les réformes, comme celle des retraites, affectent durement ces carrières généralement pénibles.
3. Télétravail : une révolution inachevée et inégalitaire
C'est peut-être le changement le plus tangible hérité de la pandémie.
Le télétravail a explosé, passant de 4 % à plus de 20 % des salariés. Il s'est installé sous une forme hybride (environ 1,9 jour/semaine en moyenne) et est de plus en plus encadré par des accords.
Cependant, cette « révolution » profite essentiellement aux cadres, creusant les inégalités avec les employés et ouvriers, et le secteur public reste à la traîne par rapport au privé.
Si les télétravailleurs apprécient globalement une meilleure autonomie et un meilleur équilibre vie pro/perso, des points noirs subsistent (isolement, moindre soutien), et le gain de temps profite inégalement aux hommes et aux femmes.
4. L'Exode Urbain : mythe déconstruit, tendances accélérées
Le grand récit d'un exode massif des villes vers les campagnes, né pendant les confinements, ne s'est pas vérifié dans les faits. Les Français n'ont pas massivement déménagé, et la plupart des mouvements restent locaux ou entre zones similaires.
Toutefois, la crise sanitaire a accéléré des tendances préexistantes :
- la périurbanisation continue de progresser, et
- les métropoles perdent un peu de leur attractivité migratoire au profit des villes moyennes, petites villes et même de certaines campagnes,
- bien que les flux restent limités en volume pour le rural « isolé ».
Les profils des partants sont variés, allant des retraités aux familles cherchant un autre mode de vie, en incluant les cadres mobiles et les ménages plus précaires.
5. Réindustrialisation : la souveraineté en suspens
La pandémie avait cruellement exposé notre dépendance industrielle. La promesse de rebâtir une souveraineté, notamment sur les produits essentiels comme les masques ou les médicaments, n'a été que très partiellement tenue.
Si la production française de masques a connu un bref essor avant de retomber face à la concurrence chinoise, et si quelques relocalisations symboliques ont eu lieu dans la pharmacie (paracétamol), les pénuries de médicaments persistent et le solde global des ouvertures/fermetures d'usines (pharmacie comprise) est resté négatif ou faible.
La production industrielle générale n'a pas retrouvé son niveau pré-Covid, plombée particulièrement par la hausse des coûts de l'énergie dans certains secteurs clés.
La menace d'une nouvelle « grande glissade » industrielle plane.
Conclusion : un « Après » qui ressemble beaucoup à « Avant »
Cinq ans après les promesses d'un renouveau post-Covid, le « monde d'après» peine à advenir.
Si le télétravail s'est durablement installé (de manière inégale) et si les dynamiques territoriales ont été subtilement modifiées, les grands défis structurels demeurent.
L'hôpital souffre, les travailleurs essentiels manquent de reconnaissance, et la réindustrialisation reste un vœu pieux face aux réalités économiques.
Le monde d'avant, avec ses fragilités et ses inégalités, semble largement avoir repris ses droits.
La transformation profonde espérée lors de la crise sanitaire apparaît aujourd'hui comme un rendez-vous largement manqué.
Source : Alternatives Économiques
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