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«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



Le capitalisme à la française

Depuis une dizaine d'années, les aides publiques aux entreprises en France ont atteint des niveaux records (10 % du P.I.B) suscitant de vifs débats sur leur coût, leur efficacité et leurs contreparties.



Les convaincus du « en même temps » : à bas l'État et : aides, subventions : par ici la monnaie !
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Emblématique de cette politique, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), mis en place en 2013 puis transformé en allègements de charges en 2019, illustre à la fois les espoirs placés dans ces dispositifs et leurs limites.


Un foisonnement d'aides publiques aux entreprises

Selon un rapport de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES), le montant global des aides publiques aux entreprises s'élevait à 157 milliards d'euros en 2019[1]. Elles prennent des formes multiples : subventions, garanties financières, prises de participation, exonérations fiscales et sociales. La base de données aides-entreprises.fr recense près de 2000 dispositifs d'aides financières[1].

Ces aides interviennent à chaque étape de la vie d'une entreprise : création, développement, innovation, embauche, export. Certaines ciblent des secteurs spécifiques (industrie, agriculture…) ou des territoires en difficulté. D'autres ont été conçues pour répondre à des circonstances exceptionnelles, comme les prêts garantis par l'État (PGE) face à la crise sanitaire.

Face aux crises récentes, le soutien public a été massif. La Cour des Comptes évalue à 92,4 milliards d'euros le coût des aides de l'État aux entreprises de 2020 à 2022[1][4]. En intégrant les prêts garantis et reports de cotisations sociales, le soutien total représente 10 % du PIB[4]. Les plans France Relance et France 2030 mobilisent plus de 150 milliards d'euros supplémentaires.

Le CICE, un dispositif emblématique et controversé

Créé en 2013, le CICE visait à réduire le coût du travail pour doper la compétitivité et l'emploi[2][8]. Accessible à toutes les entreprises employant des salariés, il permettait de bénéficier d'un crédit d'impôt de 4 % puis 6 % de la masse salariale, hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC[5][11]. 

De 2013 à 2018, le CICE aura coûté près de 110 milliards d'euros aux finances publiques[9][16]. Son coût annuel en régime de croisière était d'environ 20 milliards d'euros, ce qui en faisait la plus importante dépense fiscale de l'État[8].

Pourtant, son efficacité a été très discutée. Selon le comité de suivi du CICE, il n'aurait permis de créer ou sauvegarder qu'environ 100 000 emplois entre 2013 et 2015[2][5][8]. Son effet sur l'investissement ne semble pas significatif[1][8]. Le CICE aurait surtout permis aux entreprises de reconstituer leurs marges[2].

Plusieurs limites du dispositif ont été pointées[3][16] :
- Un effet d'aubaine pour les grandes entreprises, qui en ont massivement bénéficié sans toujours créer d'emplois en contrepartie
- Un ciblage trop large, le seuil de 2,5 SMIC étant jugé trop élevé pour maximiser l'impact sur l'emploi peu qualifié  
- Un décalage d'au moins un an entre le versement des salaires et la perception du crédit d'impôt, nuisant à la trésorerie des entreprises

Au regard des sommes engagées, le bilan coût-efficacité du CICE apparaît donc très mitigé. Pour certains économistes, il illustre l'inefficacité des politiques d'offre basées sur la baisse du coût du travail.

La transformation du CICE en allègements de charges

Face aux critiques, le gouvernement a décidé fin 2018 de supprimer le CICE et de le transformer en allègements pérennes de cotisations sociales à partir de 2019[7][19]. Cette bascule comprend notamment :
- Une baisse de 6 points des cotisations d'assurance maladie jusqu'à 2,5 SMIC
- Un allègement renforcé des cotisations au niveau du SMIC, de l'ordre de 4 points
- Une exonération étendue aux cotisations de retraite complémentaire et d'assurance chômage

L'objectif affiché est d'améliorer la lisibilité et l'effet sur la trésorerie des entreprises par rapport au CICE. Mais selon l'OFCE, cette transformation ne devrait créer que 40 000 à 50 000 emplois supplémentaires d'ici à 2023[2][14]. Son coût est estimé à 26,5 milliards d'euros par an[16].

L'année 2019 a été une année de transition, les entreprises bénéficiant à la fois du CICE au titre des salaires versés en 2018 et des allègements de charges. Cela a entraîné un quasi-doublement du coût budgétaire cette année-là, de l'ordre de 40 milliards d'euros[7][19].

Certains économistes jugent cette transformation contre-productive[20]. Ils estiment que la baisse de cotisations est moins ciblée que le CICE sur les bas salaires. Les entreprises intensives en main d'œuvre peu qualifiée, qui bénéficiaient le plus du CICE, pourraient être perdantes dans certains cas.

Un débat relancé sur le contrôle et les contreparties des aides

Au-delà du CICE, c'est l'ensemble du système d'aides publiques aux entreprises qui fait débat. Leur coût très élevé interroge au regard de leur efficacité réelle sur l'emploi, l'investissement et la compétitivité.

Beaucoup critiquent l'absence de contreparties exigées en termes d'emploi ou d'investissement[1]. Des entreprises ont pu délocaliser ou supprimer des emplois tout en bénéficiant d'aides publiques généreuses. D'autres ont continué à verser des dividendes à leurs actionnaires.

Le foisonnement des dispositifs rend aussi très difficile leur évaluation et leur pilotage[1][6]. Il n'existe pas de cadre unifié pour leur suivi et leur contrôle. Un rapport parlementaire pointe le caractère souvent discrétionnaire des aides et l'absence de méthodologie commune pour leur octroi[6].

Pour y remédier, certains proposent de conditionner davantage les aides publiques[6] :
- En définissant des objectifs et des indicateurs précis, partagés avec les entreprises bénéficiaires 
- En prévoyant des modalités de suivi, de contrôle et d'évaluation systématiques
- En conditionnant leur maintien à l'atteinte de résultats, avec des possibilités de remboursement
- En les rendant plus transparentes et en informant mieux les citoyens de leur utilisation

D'autres jugent nécessaire de revoir plus largement la logique de ces politiques d'offre. Plutôt que de réduire le coût du travail, il faudrait davantage soutenir les investissements d'avenir (recherche, innovation, transition écologique) et la montée en gamme de l'appareil productif.

Le débat est loin d'être tranché. Mais, l'ampleur des moyens mobilisés appelle un réexamen en profondeur de ces aides aux entreprises, de leurs finalités et de leur efficience. C'est tout le modèle du « capitalisme à la française», basé sur un soutien public massif, mais souvent peu contrôlé, qui est questionné. L'enjeu est de parvenir à un meilleur équilibre entre le nécessaire soutien à la compétitivité des entreprises et l'exigence d'un juste retour pour la collectivité. Un défi majeur pour redéfinir les termes d'un nouveau contrat social entre l'État et les entreprises.

Vous trouverez en fichier PDF annexé à cet article des précisions très intéressantes sur les aides publiques aux entreprises
 

Mardi 26 Mars 2024

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