
Dans notre pays décrit par nos dirigeants, dans un excès de modestie, comme un berceau plus que bicentenaire de la démocratie, le fait du prince est toujours en cour. Les bulletins de vote sont à peine dépouillés que les électeurs sont aussitôt dépouillés de leurs voix !
Certes, ils se sont prononcés pour des "régionales". Mais, comme n'a pas omis de le souligner Nicolas Sarkozy, qui a dû perdre aux yeux de son camp une nouvelle occasion de se taire, les résultats de dimanche soir avaient forcément une portée politique de plus grande échelle.
Et que voit-on ? Une France d'en bas qui dit "stop" et un président, tout là-haut, qui dit "encore". Le fort remaniement annoncé au gouvernement ne trompe personne. Raffarin reste. Raffarin persiste et saigne, ou se saigne, sur l'autel de la droite défaite.
C'est à se demander si les électeurs, chaudement félicités d'avoir battu en brèche l'abstention, ne préféreront pas à l'avenir une partie de pêche à la ligne ou un dimanche à la campagne, vu le peu de cas fait de leurs suffrages.
Le précédent Bérégovoy nous retient d'employer certains mots tragiques. Alors parlons, au choix, de sabordage ou d'autodestruction, pour ne pas comparer le spectacle donné par le chef de l'Etat et ses fidèles à une manière de suicide collectif, avec sacrifice et immolation christique digne du dernier Mel Gibson. La Passion de et selon Raffarin. Avouons que la tête d'affiche n'est pas affriolante.
D'accord, on n'attendait pas de Jacques Chirac qu'il nommât François Hollande à Matignon. L'intéressé aurait d'ailleurs manqué de pratique pour parler couramment le socialisme avec un bon accent. Mais de là à nous remettre une raffarinade !
Et si nous avons bien lu nos confrères du Parisien, l'artisan du nouveau gouvernement n'est autre... qu'Alain Juppé. L'ancien premier ministre, vous savez, celui-là même que le président a dissuadé in extremis de quitter la vie politique, est encore à la manœuvre.
La consigne est simple : aucune nomination ne saurait faire froncer les sourcils du duc d'Aquitaine. Il existe une expression pour illustrer cette singulière contrainte de la Chiraquie : chaque ministre doit être Juppé-compatible, sauf à voir le célèbre "droit dans ses bottes" se mettre à bouder.
En feignant de ne rien entendre, car il n'est pas pire sourd, et en feignant de ne rien voir, car il n'est pas pire aveugle, le chef de l'Etat court le risque de rendez-vous intempestifs avec la rue.
On se prend tout à coup à se demander, devant cette forme d'autisme politique, si le capitaine ne s'est pas insensiblement échoué loin des réalités du pays, entouré de conseillers usés, ou seulement vieillis, qui ne voient pas la France comme elle, mais comme ils rêveraient qu'elle soit : docile et prête à courber l'échine devant un pouvoir qui, même désavoué, s'obstine à croire qu'il a raison.
Eric Fottorino
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.04.04
Certes, ils se sont prononcés pour des "régionales". Mais, comme n'a pas omis de le souligner Nicolas Sarkozy, qui a dû perdre aux yeux de son camp une nouvelle occasion de se taire, les résultats de dimanche soir avaient forcément une portée politique de plus grande échelle.
Et que voit-on ? Une France d'en bas qui dit "stop" et un président, tout là-haut, qui dit "encore". Le fort remaniement annoncé au gouvernement ne trompe personne. Raffarin reste. Raffarin persiste et saigne, ou se saigne, sur l'autel de la droite défaite.
C'est à se demander si les électeurs, chaudement félicités d'avoir battu en brèche l'abstention, ne préféreront pas à l'avenir une partie de pêche à la ligne ou un dimanche à la campagne, vu le peu de cas fait de leurs suffrages.
Le précédent Bérégovoy nous retient d'employer certains mots tragiques. Alors parlons, au choix, de sabordage ou d'autodestruction, pour ne pas comparer le spectacle donné par le chef de l'Etat et ses fidèles à une manière de suicide collectif, avec sacrifice et immolation christique digne du dernier Mel Gibson. La Passion de et selon Raffarin. Avouons que la tête d'affiche n'est pas affriolante.
D'accord, on n'attendait pas de Jacques Chirac qu'il nommât François Hollande à Matignon. L'intéressé aurait d'ailleurs manqué de pratique pour parler couramment le socialisme avec un bon accent. Mais de là à nous remettre une raffarinade !
Et si nous avons bien lu nos confrères du Parisien, l'artisan du nouveau gouvernement n'est autre... qu'Alain Juppé. L'ancien premier ministre, vous savez, celui-là même que le président a dissuadé in extremis de quitter la vie politique, est encore à la manœuvre.
La consigne est simple : aucune nomination ne saurait faire froncer les sourcils du duc d'Aquitaine. Il existe une expression pour illustrer cette singulière contrainte de la Chiraquie : chaque ministre doit être Juppé-compatible, sauf à voir le célèbre "droit dans ses bottes" se mettre à bouder.
En feignant de ne rien entendre, car il n'est pas pire sourd, et en feignant de ne rien voir, car il n'est pas pire aveugle, le chef de l'Etat court le risque de rendez-vous intempestifs avec la rue.
On se prend tout à coup à se demander, devant cette forme d'autisme politique, si le capitaine ne s'est pas insensiblement échoué loin des réalités du pays, entouré de conseillers usés, ou seulement vieillis, qui ne voient pas la France comme elle, mais comme ils rêveraient qu'elle soit : docile et prête à courber l'échine devant un pouvoir qui, même désavoué, s'obstine à croire qu'il a raison.
Eric Fottorino
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.04.04