Si quelqu'un y comprend quelque chose...
Nous sommes nombreux à ressentir l'absurdité de notre condition. Quand à cette absurdité ontologique s'additionne l'absurdité administrative, on peut se retrouver plongé plus vite qu'on ne le croit dans une pièce de Beckett.
Laissez-moi donc vous raconter une histoire vraie qui ressemble en tous points à une histoire drôle. Drôle, elle l'aurait été, si elle n'avait pas duré si longtemps…
En octobre 2020, souvenez-vous, le masque était obligatoire dans certaines rues. Je me promène sur la côte normande, le vent est frais, la ville quasi déserte. Je passe d'une rue (où le masque n'est pas obligatoire) à la rue d'à côté (où, je l'apprendrai plus tard, le masque était obligatoire… ce qui est déjà un poil farfelu, convenons-en).
Un policier vient à ma rencontre. Il veut voir ma pièce d'identité. Je m'exécute. II note mon adresse et m'explique que je recevrai prochainement une amende. Je tente de me défendre – je suis seule, à dix mètres de la plage, la rue n'est pas très fréquentée à cette période, et puis il faudrait une pancarte, sinon comment savoir? Il m'indique le panneau, à l'autre bout de la rue. Venant en sens inverse, je ne pouvais pas le voir.
Face à cette première absurdité – que je vis comme une injustice – je décide de contester l'amende. Pour la première fois de ma vie, j'adresse un courrier, sûre de mon fait. Je l'envoie. Deux mois plus tard, je déménage. Je n'ai plus de nouvelles, et j'en conclus que mes arguments ont suffi à clore le dossier.
Deux ans plus tard, en mars 2022, mon employeur me signale qu'il a reçu un avis de saisie administrative et qu'il n'a pas le choix: il doit prélever sur mon salaire le montant de l'amende. Tant pis pour moi, je me rebellerai une prochaine fois.
Un mois plus tard, mes parents reçoivent un courrier de la police. Je suis convoquée au commissariat. Mon père me demande ce que j'ai fait. Vraiment, je ne vois pas. Au commissariat, ce matin-là, je patiente une heure et demie. Une policière finit par me recevoir. Elle m'explique que la justice m'a recherchée pendant près de deux ans. Motif: une infraction pour non-port du masque. Je lui réponds que j'ai déménagé entre-temps. Elle comprend, et me demande de signer un document stipulant que je n'ai pas reçu les relances du tribunal à cause d'un changement d'adresse. Sa mission s'arrête là.
Octobre 2022: ma mère est réveillée par un homme chargé de lui remettre en main propre une convocation judiciaire. Le courrier est pour moi, je suis attendue au tribunal de Lisieux. L'audience est fixée au mois de juin 2023. Je ne comprends pas cette convocation, puisque l'amende a déjà été payée. Je téléphone à la greffière. Cette dernière se plaint de la lenteur administrative: « Nous n'avons que des dossiers Covid en ce moment, on passe nos journées à faire ça, avec deux ans de retard…Elle poursuit: « Si vous vous rendez au tribunal, vous pourrez être remboursée du montant de l'amende. »
Je lui réponds que c'est idiot, puisque me rendre à Lisieux supposerait d'acheter un billet de train aller-retour plus cher que l'amende en question. Et puis j'ai juste envie qu'on me laisse tranquille.
J'aurais aimé que cette histoire – bien trop longue – s'arrête là, mais il y a deux mois j'ai reçu un nouveau courrier, qui disait, en résumé :
Vous ne vous êtes pas présentée au tribunal, il faut payer l'amende d'octobre 2020. Je leur adresse un justificatif par courrier, j'ai déjà payé, je le prouve. Pas de réponse.
Cette semaine, quatre ans après les faits, je reçois un avis de saisie administrative. La justice a contacté une nouvelle fois mon (ancien) employeur, qui devra donc déduire du salaire (que je n'ai plus) le montant de l'amende (que j'ai déjà payée.) J'apprends, en sus, l'inscription de l'infraction dans mon casier judiciaire.
Si quelqu'un y comprend quelque chose, qu'il n'hésite pas à m'écrire.
Administrativement vôtre,
Lilia Hassaine