Le Parisien, Le Journal du dimanche, Studio Ciné Live, Première et Le Figaro. Toutes ces publications ont un point commun : elles n'ont pas pu aller voir « La Vérité si je mens 3 » en projection presse.
La raison ? Un distributeur – Mars Distribution – qui a voulu maîtriser la communication d'un film au budget de 25 millions d'euros, soit le quatrième film français le plus cher produit en 2010.
Tout commence sur France Info le 27 janvier, à quelques jours de la sortie de « La Vérité si je mens 3 » sur 1 051 écrans.
La journaliste Florence Leroy raconte le déroulement d'une projection du film « Hollywoo » au début du mois de décembre 2011 où une partie de la presse n'avait pas été conviée :
« Tous les journalistes soupçonnés d'avoir un avis [...] divergent ont été interdits de projection. »
Elle poursuit :
»« La Vérité si je mens 3 », ça a été exactement le même scénario. Certains journalistes ont été autorisés à se rendre aux projections presse ; d'autres non, comme nous [...].
On en vient à demander l'autorisation d'aller à une projection, et si on ne s'engage pas à dire du bien du film [...] on ne s'y rend pas. »
Au Figaro, dans un encart publié en-dessous de la critique, Eric Neuhoff et Jean-Luc Wachthausen ironisent :
« On est sans doute passé à côté d'un chef-d'œuvre pour lequel aucune critique négative n'était autorisée. »
« Ce sera bienveillant ou malveillant ? »
Mais dans un article publié sur LeNouvelObs.com, Nicolas Schaller relate une discussion téléphonique saisissante qu'il a eu avec un attaché de presse du film de Thomas Gilou :
« Quel sera l'angle du papier ?
– Nous aimerions raconter la genèse du film, les onze ans qui se sont écoulés entre le 2 et le 3.
– Ce sera bienveillant ou malveillant ?
– Ni l'un ni l'autre ! On aimerait juste voir le film, rencontrer les gens et faire notre travail.
– Ce n'est pas si simple. Je vais voir ce qu'on peut faire. »
L'entretien n'aura aucune suite et le journaliste n'ira pas à la projection presse. Contacté par Rue89, il s'emporte :
« Je trouve hallucinant qu'avant même d'avoir vu le film on nous demande ce qu'on en pense. A la limite qu'ils décident de ne pas montrer le film je comprendrais. Mais ce qui est détestable c'est qu'ils ont décidé de le montrer à quelques journaux dociles. Cela remet en question le métier. »
A la rédaction du Journal du dimanche, même topo. Danièle Attali raconte :
« On nous a proposé de voir le film et, s'il ne nous plaisait pas, de ne rien écrire. Dans ces conditions-là, j'ai refusé, donc nous ne l'avons pas vu. C'est un calcul financier du distributeur : il veut que son film ait du succès. »
« La presse écrite ne sert à rien »
Interrogée par l'Express, une attachée de presse reconnaît que « sur ce genre de films [les comédies, ndlr], la presse écrite ne [nous] sert strictement à rien ».
Nicolas Schaller précise :
« Cette interdiction, c'est souvent le cas pour les comédies françaises dites “populaires” avec un certain niveau au regard du casting et de l'argent investi. »
« Le vrai problème, c'est qu'ils trouveront toujours des gens pour faire des papiers qui iront dans leur sens car c'est facile de manipuler certains titres en faisant miroiter des encarts publicitaires », explique le journaliste du Nouvel Observateur.
Fabrice Leclerc, rédacteur en chef de Studio Ciné Live, ajoute :
« Il n'y a aucune obligation à montrer les films à la presse. Mais lorsque ces mêmes distributeurs, qui glosent sur l'inutilité de la presse, ont un film plus fragile, là ils viennent vous draguer pour un papier, font le siège pour une bonne note et vous harcèlent pour que vous leur donniez une citation à imprimer sur l'affiche du film. »
« A la télé, c'est souvent de la propagande »
Pour « La Vérité si je mens 3 », la communication est passée par la télévision : Arthur, Michel Drucker, Laurent Ruquier ou Michel Denisot, tous ont « adoré », explique Nicolas Schaller, « sans compter la présence quotidienne des acteurs au “Service après-vente” d'Omar et Fred ».
Il poursuit :
« Il faut expliquer aux gens que, ce qui passe à la télévision, c'est souvent de la promotion et de la propagande, sachant que ces mêmes chaînes investissent dans les films qu'ils promeuvent. La banalisation de ces pratiques sont dangereuses pour la presse. »
Et Florence Leroy de préciser en prenant l'exemple de « Hollywoo » :
« Le film devient un produit et ce qu'il faut selon les distributeurs, c'est que la réalisatrice, les acteurs [...] ne soient invités que dans des émissions de divertissement où le film sera plus ou moins encensé. »
Aux Etats-Unis, David Fincher est le dernier en date à avoir remis en cause le principe des projections presse avant la sortie des films. Le réalisateur a trouvé de nouvelles raisons, non pas économiques, mais d'ordres psychologiques :
« Je pense que si quelqu'un veut voir un film, il doit venir le voir totalement vierge. Je ne pense pas qu'il faille raconter aux gens ce qu'ils vont pouvoir découvrir par eux-mêmes. »
David Fincher avait fait cette déclaration après avoir lu une critique de « Millénium ». Une critique... positive.
N.D.L.R
A l'avenir, lorsqu'un critique fera un papier élogieux sur un film, à la suite d'une projection presse, on aura toutes les raisons d'être méfiant.
Anyway, comme on dit en Thaïlande, quand on n'est pas Thaïlandais, les journalistes en général, et pas seulement les critiques cinéma, quand ils travaillent pour des journaux possédés par de grands groupes, n'écrivent que ce qu'on leur dit, ou ce qu'on leur conseille, d'écrire.
C'est humain.
Ce qui l'est moins, c'est que certains les croient...