Réalisé les 16 et 17 mars, soit après la démonstration de rue massive des salariés du public et du privé le 10 mars et alors que la fameuse directive Bolkestein (et ses relents ultralibéraux) sème la perturbation jusqu'à l'Elysée (où l'on récuse toute libéralisation outrancière des services), un sondage CSA donne, pour la première fois, le non vainqueur : 51 % contre 49 %. Certes, 53 % des personnes interrogées déclarent vouloir s'abstenir, ou bien voter blanc ou nul. Il n'empêche : par rapport à l'enquête précédente du même institut en date des 23 et 24 février, soit juste après le oui espagnol, le oui français perd d'un coup 14 points (voir tableau ci-dessous), et le non en gagne parallèlement 14. Une percée spectaculaire alors que, à l'Elysée comme au PS, on s'attendait à un resserrement de tendance, mais sûrement pas à une inversion. Il y a moins d'une semaine, François Hollande, ne doutant pas de la victoire du oui, ne pronostiquait-il pas (en privé) que cela se terminerait au final par un 54-46 ? Hier soir, surpris, il a expliqué qu'aucun résultat n'était jamais « acquis d'avance ». Et de répéter que si le non devait l'emporter, « ce serait la crise en Europe et en France, et la crise n'est jamais favorable à la gauche ».
Le trouble gagne Les plus favorables aujourd'hui au non, à en croire l'institut CSA : les 35-49 ans (58 %), les employés (63 %), les sympathisants du PC (82 %) et ceux du FN (70 %). Plus spectaculaire : 59 % des sympathisants socialistes (ayant fait un choix) penchent vers le non, à l'image du tandem Emmanuelli-Mélenchon. Il fallait voir, hier soir sur France 2, le visage épanoui de Laurent Fabius : et si, réellement, le non (sur lequel l'ancien Premier ministre joue son destin politique) passait ? Sans doute le camp du oui paie-t-il ses atermoiements et ses arrière-pensées. A droite, il est régulièrement question de la Turquie (dont le sort ne sera pas réglé avant quinze ans). Et pas besoin d'être grand clerc pour deviner que certains, Europe ou pas, seraient d'abord heureux de voir Chirac... dévisser. C'est le voeu explicite d'un Philippe de Villiers, qui « voit le non monter ». A gauche, ce n'est pas moins confus. Tandis que Jacques Delors redoute un « cataclysme politique » en cas de vote négatif, François Hollande peine à imposer un minimum de discipline au sein du PS. Sans compter que, pour certains, cela reste très dur de voter une fois de plus « avec Chirac », lequel n'a, à leurs yeux, tiré aucune conséquence politique de ses échecs électoraux successifs de 2004.
Quand, par-dessus tout cela, il est question d'une obscure directive Bolkestein censée permettre demain à un plombier polonais ou à un architecte tchèque de venir travailler en France aux conditions de leur pays d'origine, le trouble gagne. Pour éviter le 29 mai un tremblement de terre, le camp du oui va donc devoir bagarrer sec, et l'Europe, pour commencer, présenter un visage moins arrogant et plus rassurant.