Pour Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC (Confédération générale des cadres), la nouvelle définition du temps de travail des cadres est un marché de dupes.
Que signifie, pour les cadres, le plafond de 235 jours travaillés par an ?
Ça veut dire que l’on va travailler plus longtemps, mais pas pour gagner plus. Travailler 235 jours, cela représente 2 500 heures par an, au lieu de 1 607 heures dans le calcul horaire. Vous voyez l’écart. Et la différence sera moins bien payée que des heures supplémentaires, puisque la majoration qui s’appliquera au-delà de 218 jours - l’équivalent pour les cadres des 35 heures - ne sera que de 10 % au lieu de 25 %.
Que vont devenir les jours fériés et les RTT ?
Pour arriver à 235 jours, vous prenez les 365 jours de l’année, vous enlevez 2 jours par semaine pour les samedis et dimanches, soit 104 jours, 5 semaines de congés payés et un jour qui serait le 1er mai. Résultat : plus de RTT ni de jours fériés. On pourra vous demander de travailler le 14 juillet, le 15 août et le 1er janvier…
Quand il y a accord d’entreprise, les salariés conserveront leurs RTT…
Le gouvernement et Xavier Bertrand disent que cela sera borné par la négociation d’entreprise. Dans les grandes entreprises, ça ne devrait pas trop poser de problème. Encore que le patron pourra dire : «Si vous refusez de travailler plus, je délocalise.» Mais dans les très petites, où il n’y a pas de représentants du personnel, cela va se négocier de gré à gré entre employeur et salariés. Ceux-ci auront beaucoup de difficultés à s’y opposer s’ils veulent garder leur emploi. Les petites entreprises subissent la pression des grandes, avec qui elles sous-traitent.
Le patron pourra-t-il imposer les 235 jours ?
Il pourra dire qu’il a la loi avec lui. Aujourd’hui, les accords se négocient au-dessous de 218 jours. Demain les entreprises vont négocier pour aller à 235, voire au-delà. C’est d’autant plus scandaleux que le gouvernement a récemment souligné le problème de la santé au travail. Il fait l’inverse de ce qu’il dit.
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Alain Vidalies, député socialiste des Landes, est spécialiste de droit social. Propos recueillis par Philippe Brochen
«Pour les cadres, la situation de travail sera pire qu'avant les 35 heures»
Concrètement, que signifie cet amendement ?
Pour 235 jours, cela peut représenter jusqu'à 3.055 heures de travail possible. Parce que ces salariés qui sont au forfait journalier peuvent travailler 13 heures par jour et que la seule règle qui les protège, c'est la réglementation européenne qui impose 11 heures de repos d'affilée quotidiennement.
Cela veut donc dire que le pire est peut-être encore à venir pour les cadres?
Les 235 jours ne seront pas un plafond, puisqu'avec un simple accord d'entreprise, on pourra aller jusqu'à 282 jours de travail par an. C'est-à-dire que tous les jours sont alors travaillés, sauf les 52 dimanches, le 1er mai et les 30 jours de congés payés obligatoires.
Peut-on dire qu'on revient au droit social d'avant 1936?
C'est d'autant plus grave que la ligne de force de leur réforme, c'est dorénavant d'affirmer la supériorité de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche. Autrement dit, si vous êtes dans une entreprise en difficulté et que l'enjeu c'est le maintien de l'emploi, on voit bien ce que les salariés seront obligés d'accepter.
C'est ce qui s'est passé chez Bosch et GoodYear, avec un chantage à la délocalisation pour renégocier l'accord 35 heures?
Exactement. Ces salariés sont désormais obligés de travailler deux samedis sur quatre sur la pression de la menace de la délocalisation.
Quid des deux jours de repos par semaine?
Les députés de la majorité ont proposé un amendement pour sauvegarder ces principes, mais en même temps ils permettent d'y déroger par un accord d'entreprise. Les 235 jours et les deux jours de repos hebdomadaire ne sont garantis qu'en l'absence d'un accord d'entreprise. Car il ne faut pas s'y tromper, le bouleversement le plus important, c'est de donner dorénavant la priorité à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche.
Concrètement, qu'est-ce que cela représente?
La première conséquence, c'est que les questions sociales vont devenir un paramètre de concurrence entre les entreprises qui ont la même activité. Et donc on comprend bien qu'il y aura un alignement par le bas, puisque pour garder leur compétitivité, les entreprises pourront évoquer le moins disant d'un accord existant dans une entreprise concurrente.
C'est tout le fonctionnement du marché du travail qui va en être modifié?
Exactement, car aujourd'hui, compte-tenu du stress au travail, de l'explosion des maladies professionnelles, les salariés sont beaucoup plus attentifs aux conditions de travail pour pouvoir préserver leur qualité de vie personnelle et familiale. Ce qui est à craindre, en revanche, c'est qu'ils n'aient guère le choix, puisque les entreprises risquent de s'aligner les unes sur les autres, et évidemment par le bas.
Le patron pourra-t-il imposer le plafond de 235 jours?
Dans la situation d'aujourd'hui, non, puisqu'il faut un accord d'entreprise avec les syndicats. Mais demain, oui. Faute d'accord d'entreprise, la norme sera 235 jours.
Les salariés des petites entreprises, où les accords d’entreprise sont les plus difficiles à négocier, sont donc les grands perdants de la situation?
Je crois que c'est un tournant important, parce que jusqu'à présent on vivait avec l'objectif de règles qui étaient les mêmes pour tous les salariés, que ce soit la loi ou les accords de branches. Là, c'est un autre paysage social, toute les règles sont atomisées. La loi n'encadre plus rien et renvoit tout à l'accord d'entreprise. C'est quasiment le modèle anglo-saxon.
Pour le salarié, la situation sera donc pire qu'avant les lois Aubry?
La situation est largement au-delà de ce qui existait avant les 35 heures, notamment sur la question du question du repos compensateur obligatoire, qui était prévu par la loi. Ce n'est pas une législation qui est liée aux 35 heures... C'est une question de santé publique.
Certains cadres vont donc travailler six jours sur sept toute l'année?
Dans certains cas, oui. Et s'ils font un horaire important, il sera possible au niveau d'une entreprise de négocier soit un repos moins important que celui qui est prévu par la loi, soit de transformer ce droit en une compensation financière.
Le texte doit encore passer devant le Sénat. Espérez-vous une modification ?
Je n'ai guère d'espoirs, à un bémol près: Gérard Larcher, l'ancien ministre du Travail, avait, dans un entretien à la presse, indiqué que la majorité sénatoriale souhaitait mettre plusieurs verrous pour éviter les situations extrêmes permises par ce projet de loi. Et puisque les députés UMP n'ont rien voté en ce sens, peut-être faut-il passer aux actes avec leurs collègues sénateurs... Mais pour tout dire, je ne suis guère optimiste...
Un retour au droit social d'avant 1936 et pas loin non plus de 1789...
Que signifie, pour les cadres, le plafond de 235 jours travaillés par an ?
Ça veut dire que l’on va travailler plus longtemps, mais pas pour gagner plus. Travailler 235 jours, cela représente 2 500 heures par an, au lieu de 1 607 heures dans le calcul horaire. Vous voyez l’écart. Et la différence sera moins bien payée que des heures supplémentaires, puisque la majoration qui s’appliquera au-delà de 218 jours - l’équivalent pour les cadres des 35 heures - ne sera que de 10 % au lieu de 25 %.
Que vont devenir les jours fériés et les RTT ?
Pour arriver à 235 jours, vous prenez les 365 jours de l’année, vous enlevez 2 jours par semaine pour les samedis et dimanches, soit 104 jours, 5 semaines de congés payés et un jour qui serait le 1er mai. Résultat : plus de RTT ni de jours fériés. On pourra vous demander de travailler le 14 juillet, le 15 août et le 1er janvier…
Quand il y a accord d’entreprise, les salariés conserveront leurs RTT…
Le gouvernement et Xavier Bertrand disent que cela sera borné par la négociation d’entreprise. Dans les grandes entreprises, ça ne devrait pas trop poser de problème. Encore que le patron pourra dire : «Si vous refusez de travailler plus, je délocalise.» Mais dans les très petites, où il n’y a pas de représentants du personnel, cela va se négocier de gré à gré entre employeur et salariés. Ceux-ci auront beaucoup de difficultés à s’y opposer s’ils veulent garder leur emploi. Les petites entreprises subissent la pression des grandes, avec qui elles sous-traitent.
Le patron pourra-t-il imposer les 235 jours ?
Il pourra dire qu’il a la loi avec lui. Aujourd’hui, les accords se négocient au-dessous de 218 jours. Demain les entreprises vont négocier pour aller à 235, voire au-delà. C’est d’autant plus scandaleux que le gouvernement a récemment souligné le problème de la santé au travail. Il fait l’inverse de ce qu’il dit.
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Alain Vidalies, député socialiste des Landes, est spécialiste de droit social. Propos recueillis par Philippe Brochen
«Pour les cadres, la situation de travail sera pire qu'avant les 35 heures»
Concrètement, que signifie cet amendement ?
Pour 235 jours, cela peut représenter jusqu'à 3.055 heures de travail possible. Parce que ces salariés qui sont au forfait journalier peuvent travailler 13 heures par jour et que la seule règle qui les protège, c'est la réglementation européenne qui impose 11 heures de repos d'affilée quotidiennement.
Cela veut donc dire que le pire est peut-être encore à venir pour les cadres?
Les 235 jours ne seront pas un plafond, puisqu'avec un simple accord d'entreprise, on pourra aller jusqu'à 282 jours de travail par an. C'est-à-dire que tous les jours sont alors travaillés, sauf les 52 dimanches, le 1er mai et les 30 jours de congés payés obligatoires.
Peut-on dire qu'on revient au droit social d'avant 1936?
C'est d'autant plus grave que la ligne de force de leur réforme, c'est dorénavant d'affirmer la supériorité de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche. Autrement dit, si vous êtes dans une entreprise en difficulté et que l'enjeu c'est le maintien de l'emploi, on voit bien ce que les salariés seront obligés d'accepter.
C'est ce qui s'est passé chez Bosch et GoodYear, avec un chantage à la délocalisation pour renégocier l'accord 35 heures?
Exactement. Ces salariés sont désormais obligés de travailler deux samedis sur quatre sur la pression de la menace de la délocalisation.
Quid des deux jours de repos par semaine?
Les députés de la majorité ont proposé un amendement pour sauvegarder ces principes, mais en même temps ils permettent d'y déroger par un accord d'entreprise. Les 235 jours et les deux jours de repos hebdomadaire ne sont garantis qu'en l'absence d'un accord d'entreprise. Car il ne faut pas s'y tromper, le bouleversement le plus important, c'est de donner dorénavant la priorité à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche.
Concrètement, qu'est-ce que cela représente?
La première conséquence, c'est que les questions sociales vont devenir un paramètre de concurrence entre les entreprises qui ont la même activité. Et donc on comprend bien qu'il y aura un alignement par le bas, puisque pour garder leur compétitivité, les entreprises pourront évoquer le moins disant d'un accord existant dans une entreprise concurrente.
C'est tout le fonctionnement du marché du travail qui va en être modifié?
Exactement, car aujourd'hui, compte-tenu du stress au travail, de l'explosion des maladies professionnelles, les salariés sont beaucoup plus attentifs aux conditions de travail pour pouvoir préserver leur qualité de vie personnelle et familiale. Ce qui est à craindre, en revanche, c'est qu'ils n'aient guère le choix, puisque les entreprises risquent de s'aligner les unes sur les autres, et évidemment par le bas.
Le patron pourra-t-il imposer le plafond de 235 jours?
Dans la situation d'aujourd'hui, non, puisqu'il faut un accord d'entreprise avec les syndicats. Mais demain, oui. Faute d'accord d'entreprise, la norme sera 235 jours.
Les salariés des petites entreprises, où les accords d’entreprise sont les plus difficiles à négocier, sont donc les grands perdants de la situation?
Je crois que c'est un tournant important, parce que jusqu'à présent on vivait avec l'objectif de règles qui étaient les mêmes pour tous les salariés, que ce soit la loi ou les accords de branches. Là, c'est un autre paysage social, toute les règles sont atomisées. La loi n'encadre plus rien et renvoit tout à l'accord d'entreprise. C'est quasiment le modèle anglo-saxon.
Pour le salarié, la situation sera donc pire qu'avant les lois Aubry?
La situation est largement au-delà de ce qui existait avant les 35 heures, notamment sur la question du question du repos compensateur obligatoire, qui était prévu par la loi. Ce n'est pas une législation qui est liée aux 35 heures... C'est une question de santé publique.
Certains cadres vont donc travailler six jours sur sept toute l'année?
Dans certains cas, oui. Et s'ils font un horaire important, il sera possible au niveau d'une entreprise de négocier soit un repos moins important que celui qui est prévu par la loi, soit de transformer ce droit en une compensation financière.
Le texte doit encore passer devant le Sénat. Espérez-vous une modification ?
Je n'ai guère d'espoirs, à un bémol près: Gérard Larcher, l'ancien ministre du Travail, avait, dans un entretien à la presse, indiqué que la majorité sénatoriale souhaitait mettre plusieurs verrous pour éviter les situations extrêmes permises par ce projet de loi. Et puisque les députés UMP n'ont rien voté en ce sens, peut-être faut-il passer aux actes avec leurs collègues sénateurs... Mais pour tout dire, je ne suis guère optimiste...
Un retour au droit social d'avant 1936 et pas loin non plus de 1789...