La France des cabinets ministériels s'ennuie. Et à Bruxelles, les fonctionnaires de la Commission européenne se tournent les pouces. Pour cause de campagne référendaire française, plus rien ne bouge ou presque. «La consigne de l'Elysée est claire : ne surtout pas faire de vagues jusqu'au 29 mai», confirme un fonctionnaire à Bercy. Même des sujets a priori totalement déconnectés de la Constitution européenne, comme la nomination du nouveau patron d'Airbus, se font rattraper par la campagne française. Le simple fait que le successeur de Noël Forgeard puisse être un Allemand inquiète au plus haut sommet de l'Etat (lire ci-dessous).
Depuis plusieurs semaines, Jacques Chirac tente de donner à cette Europe le visage rassurant d'un modèle social protecteur. Quitte à tordre un peu la réalité. Comme lors de son émission du 14 avril sur TF1, où il annonce un peu vite que la Commission allait déposer une clause de sauvegarde contre les exportations chinoises sous les quinze jours. Ce qui n'est toujours pas le cas. Alors, pour donner toutes ses chances au oui, le moindre sujet qui fâche qu'il soit européen ou franco-français est remisé au placard.
Les dossiers européens
La Commission européenne frappée de paralysie. Le 23 mars, lors du Conseil europécen de printemps, les chefs d'Etat ont notamment exigé la mise en sommeil de la réforme des aides d'Etat. La nouvelle commissaire à la Concurrence voulait encadrer (en langage UE signifie diminuer ) davantage les subventions accordées par les pays riches à leurs régions les moins développées (en, afin de favoriser les investissements dans les Etats membres d'Europe centrale et orientale.
La directive Bolkestein déshabillée . Il fallait au moins ça pour éteindre le feu allumé par l'ex-commissaire Frits Bolkestein et son projet de directive sur les services : en moins d'un mois, deux versions très «soft» du projet honni ont été rédigées. Les deux nouvelles moutures, de l'eurodéputée allemande Evelyne Gebhardt et de la Belge Anne Van Lancker rapporteur de la commission des Affaires sociales amputent largement le fameux principe du pays d'origine (un maçon polonais travaillant en France aux conditions sociales polonaises). Les deux propositions seront fondues en un texte commun, qui pourrait être soumis au Parlement à l'automne. De son côté, la Commission a fait savoir qu'elle réviserait sa proposition pour tenir compte des réserves du Parlement européen et de la France. Bref, tout pour rassurer... même si l'objectif d'une libéralisation des services est maintenu.
La libéralisation des transports urbains repoussée . Après cinq ans d'attente, les concurrents de la SNCF se frottaient les mains : la commission s'apprêtait enfin à dégainer un règlement entraînant, en France, la fin des monopoles de la SNCF et de la RATP dans les régions et à Paris. La présentation du texte par le commissaire français aux Transports, Jacques Barrot, était attendue en avril ou mai. Le texte a été prudemment repoussé à l'après-29 mai. C'est Barrot qui aurait suggéré de différer l'examen de sa proposition afin de ne pas faire de vagues. Sans succès puisque le projet, qui avait fuité, a déclenché la colère des syndicats cheminots évoquant la «mise à mort de la SNCF».
La privatisation de GDF attendra juin . Chez Gaz de France, tout était prêt pour la privatisation partielle. Une date, le 9 mai, était même arrêtée pour le lancement de la première phase. Mais l'Elysée, soucieux de ne pas mettre de l'huile libérale sur le feu, a décidé, fin avril, de reporter de quelques semaines l'ouverture du capital de l'entreprise. La privatisation, décidée par le seul gouvernement français, est pourtant acquise dans le principe. Quelques semaines avant le report, le ministre de l'Economie, Thierry Breton, affirmait d'ailleurs en privé : «Lorsqu'une entreprise a entamé une telle révolution culturelle, tergiverser est contre-productif.»
Les dossiers français
L es arbitrages budgétaires enterrés . L'approche du référendum a d'ores et déjà mis en retard le projet de budget 2006. En raison de la nouvelle règle de la loi organique de loi de finances, le gouvernement avait décidé que, cette année, les arbitrages sur les dépenses seraient rendus avant la fin du mois d'avril. Le délai a été reporté ensuite par Jean-François Copé à la mi-mai. Aujourd'hui à Bercy, on ne donne plus de date. On le comprend puisque ces arbitrages feront apparaître le chiffre des suppressions de postes de fonctionnaires. En 2005, il était de 7 200. Il pourrait doubler l'an prochain. De quoi relancer le mécontentement dans la fonction publique. Et donc le non. Hier, à Arras, Thierry Breton s'est refusé à annoncer ses intentions pour son propre ministère. «Ce n'est pas encore arrêté», s'est-il contenté d'indiquer, ajoutant : «Ce ne sera pas inférieur à cette année.» En 2005, 2 300 emplois ont disparu de Bercy, par non-remplacement des départs en retraite.
Les négociations sociales gelées. Présentant le 18 avril aux syndicats de fonctionnaires le calendrier des prochaines rencontres, le ministre de la Fonction publique Renaud Dutreil a promis d'ouvrir la négociation salariale... à l'automne. Après la mobilisation du 10 mars, le gouvernement avait déjà lâché du lest en accordant le 29 mars un coup de pouce de 0,8 %.
Même report sur le dossier du pouvoir d'achat des salariés du privé . Réunissant le 18 mars la Commission nationale de la négociation collective, le ministre aux Relations du travail, Gérard Larcher, a remis au 10 juin le début de la négociation des salaires minima dans les branches professionnelles.
Des secteurs sensibles choyés . Le référendum peut aussi se révéler une excellente monnaie d'échange. Les viticulteurs ont obtenu des aides conséquentes, sous forme de remise d'impôts et de délais de paiement des cotisations sociales. Le président de la Fédération nationale des chasseurs a, quant à lui, demandé en début de semaine un petit geste de 25 millions d'euros en 2006 en faveur de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Jean-François Copé, ministre du Budget, a promis qu'il ferait quelque chose.
Enfin, le patron de la fédération patronale de l'hôtellerie-restauration , André Daguin (Libération du 5 mai), a lui déjà obtenu gain de cause. La présidence de l'Union européenne vient d'annoncer qu'elle n'était pas opposée à la baisse de la TVA sur la restauration de 19,6 % à 5,5 %. Une promesse faite par Jacques Chirac en 2002, et qui butait sur un veto européen.
N.D.L.R
A voir tout ce qui nous attend après le 29 mai, si nous votons oui, il y a vraiment de quoi voter non ! Et encore une fois, on nous prend vraiment pour des cons !