Depuis qu'on l'entend dire, qu'on entend parler des licenciements qui se suivent et se ressemblent, on finit par le croire. Mais pourquoi cela ?J'ai lu dans Management (version papier), un article sur Pascal Nègre (patron d'Universal Music), qui décrypte son parcours et sa méthode. En gros : le matraquage publicitaire.
Ca a commencé dès 1989, avec la trop fameuse Lambada, premier tube de l'été formatté pour et lancé par la télévision. Depuis, c'est Star Academy et Pop Stars. Quatrième annonceur sur TF1, juste derrière Danone et Nestlé (groupes agro-alimentaires) et Procter (le lessivier). Seulement voilà, la matraquage marketing a ses limites. Comme le dit très bien le talentueux Vincent Delerm, "La Star Academy, c'est pas la Talent Academy".Alors, l'industrie musicale va-t-elle moins bien ? Si oui, dans quelle mesure ? Et pourquoi ?
Toutes les réponses sont dans une excellente analyse, chiffres à l'appui : Industrie musicale, la guerre est ouverte, écrit par Eric Nicolas. Cet article démontre qu'en fait, on a fait grandir artificiellement le marché du disque à grands renforts de pub. Mais que les gens s'en lassent, et finissent par dépenser autrement leur argent, par exemple dans les DVD ou des systèmes de Home Cinema. On a fait grossir le soufflé, et maintenant il s'effondre. Oui, acheter des albums stupides chantés par des produits marketings formatés en direct à la télé, n'a eu qu'un temps. C'était de la merde, et le public a fini par s'en rendre compte.
Au sujet de la téléréalité, on pose à Pascal Nègre la question "Quatre mois d'antenne, c'est le bingo assuré pour Universal ?". Réponse tombe, toute simple : "Et alors, je ne suis pas l'abbé Pierre !" On s'en serait douté. Ne serait-ce qu'au niveau de la rémunération : 150.000 Euros par mois, sans compter les stock-options (source : Management).Alors Pascal Nègre se doit de trouver un bouc émissaire : l'internaute, quitte à prendre quelques libertés avec la vérité (les 6, et 18 mai).
Toujours dans Management, il annonce tout de go, et avec une élégance qui démontre un certain art de vivre : "J'en ai ras le cul de ne jamais lire que tout ça est le résultat du piratage." Ah ça, je comprends qu'à la perspective de se faire virer d'un poste aussi bien rémunéré provoque des écarts de langage. Mais la vérité, la dedans ? Un rapport universitaire américain (PDF, source : Management et Eric Nicolas) démontre justement que le P2P fonctionne comme une radio, assurant la promotion des titres.Enfin, on oublie souvent de dire que l'industrie musicale trouve d'autre moyens (bien plus dispendieux) de vendre des produits dérivés hors de prix, comme les Ring Tones, ces sonneries pour téléphone portables, avec des marges allant jusqu'à 55% pour les maisons de disque.
Bref, même pour une personne honnète comme votre serviteur, il est de plus en plus difficile d'acheter légalement de la musique pour l'écouter comme bon lui semble : avec les dispositifs anti-copie, impossible de l'écouter sur mon auto-radio (je ne laisse pas de CD originaux dans ma voiture, pas folle, la guêpe !) ni mon iPod, qui sont les deux façons préférées d'écouter de la musique.Alors voilà, à force de :Vendre des produits de qualité décroissante ;Privilégier le matraquage marketing à la qualité de la production ;Prendre par défaut tous les clients pour des truands et le crier haut et fort, quitte à mentir ;Empêcher les utilisateurs légitimes de consommer le produit comme bon leur semble ;Restreindre les libertés individuelles en influençant les législateurs ;...il ne faut pas s'étonner si on rue dans les brancards.
Je laisse la conclusion à l'un des grands patrons de l'industrie française du disque, interviewé par Télérama sous condition d'anonymat :Ca fait longtemps que j'ai compris qu'on allait tous dans le mur. Que le modèle économique fondé sur le CD était en train de s'effondrer... Il ne faut pas être sorcier pour voir que tout est à réinventer. Tout ! Mais parler de ça en ces termes-là, par les temps qui courent... (...) Le problème, c'est qu'on s'est tous désintéressés de la partie la plus importante du métier : la production. Découvrir des artistes de qualité, les soutenir, c'était ça, le métier. Mais avec le temps, on a perdu la main. Beaucoup d'artistes se produisent seuls, les gros parce qu'ils ont les moyens, les petits grâce aux nouvelles technologies. Résultat, nous sommes devenus des marchands, des intermédiaires en charge de la promotion et de la distribution. Et comme aujourd'hui, la distribution de la musique risque aussi de nous échapper...
J'espère que Pascal Nègre n'a pas trouvé qui était ce collègue qui dit un peu trop franchement la vérité. Sinon, il risque fort de passer un sale quart d'heure !
Mise à jour :Une délicieuse interview de David Crosby (celui de Crosby, Still, Nash and Young, et aussi des Byrds)The people who run record companies now wouldn't know a song if it flew up their nose and died. They haven't a clue, and they don't care. You tell them that, and they go, "Yeah? So, your point is?" Because they don't give a s---. They don't care. They're actually sort of proud that they don't care. Look at it this way. A couple of years ago, somewhere between a fourth and a third of the record business was owned by a whiskey company, who shall remain nameless, but were notably inept at running a record company. And they sold it to a French water company, who shall also remain nameless, but knew even less. Now, those guys haven't a clue! (laughter) They haven't a clue. And they don't care about having a clue. They are trying to run it as if they're selling widgets, plastic-wrapped widgets that they can sell more of. And they want easily definable, easily accessible, easily creatable, controllable product that has a built-in die-out, so that they can create some more.
Allez, je me fends d'une traduction pour les anglophobes :Les gens qui dirigent les maisons de disque ne reconnaitraient pas une chanson s'ils en avaient une sur le bout du nez. Il n'y comprennent rien et il s'en fichent. Vous leur dites, et ils répondent "Oui, et alors ?", parce qu'ils s'en contrefoutent. Ca ne les intéresse pas. D'une certaine manière, ils sont fiers de ne pas s'intéresser à cela. Voilà comment on peut voir les choses : il y a quelques années, entre un quart et un tiers de l'industrie du disque appartenait à une société qui fait du whisky, dont je tairais le nom (NdT : Seagram, qui appartient à la famille Bronfman), mais qui était notablement inapte à faire fonctionner une entreprise qui fait des disques. Et ils l'ont vendue à une entreprise française dans le domaine de l'eau (NdT : tout le monde aura reconnu la Générale des Eaux / Vivendi), que je ne citerais pas, mais qui s'y connaissait encore moins. Ca c'est vraiment des gens qui n'y connaissaient rien du tout ! (Rires). Mais alors, rien du tout. Et ils s'en fichent, de n'y rien comprendre. Ils essayent de diriger cette entreprise de vente de bidules, des bidules en plastiques mis sous cellophane, et ils essayent d'en vendre encore plus. Ils veulent un produit définissable, aisément accessible, facile à créer, contrôlable, qui se périme tout seul, pour qu'il puissent en créer d'autres.
Par ailleurs, j'ai trouvé via un lecteur un communiqué de presse de l'ADAMI, qui démontre que tout le monde, dans l'industrie du disque, ne croit pas à une solution purement répréssive. Une lueur d'espoir, tous n'ont donc pas l'âme aussi sombre que celle de Pascal Nègre (pardonnez-moi ce mauvais calembour, je n'ai pas pu résister...)
http://standblog.org/blog/2004/05/28/93113511-le-pirate-ce-bouc-emissaire
Ca a commencé dès 1989, avec la trop fameuse Lambada, premier tube de l'été formatté pour et lancé par la télévision. Depuis, c'est Star Academy et Pop Stars. Quatrième annonceur sur TF1, juste derrière Danone et Nestlé (groupes agro-alimentaires) et Procter (le lessivier). Seulement voilà, la matraquage marketing a ses limites. Comme le dit très bien le talentueux Vincent Delerm, "La Star Academy, c'est pas la Talent Academy".Alors, l'industrie musicale va-t-elle moins bien ? Si oui, dans quelle mesure ? Et pourquoi ?
Toutes les réponses sont dans une excellente analyse, chiffres à l'appui : Industrie musicale, la guerre est ouverte, écrit par Eric Nicolas. Cet article démontre qu'en fait, on a fait grandir artificiellement le marché du disque à grands renforts de pub. Mais que les gens s'en lassent, et finissent par dépenser autrement leur argent, par exemple dans les DVD ou des systèmes de Home Cinema. On a fait grossir le soufflé, et maintenant il s'effondre. Oui, acheter des albums stupides chantés par des produits marketings formatés en direct à la télé, n'a eu qu'un temps. C'était de la merde, et le public a fini par s'en rendre compte.
Au sujet de la téléréalité, on pose à Pascal Nègre la question "Quatre mois d'antenne, c'est le bingo assuré pour Universal ?". Réponse tombe, toute simple : "Et alors, je ne suis pas l'abbé Pierre !" On s'en serait douté. Ne serait-ce qu'au niveau de la rémunération : 150.000 Euros par mois, sans compter les stock-options (source : Management).Alors Pascal Nègre se doit de trouver un bouc émissaire : l'internaute, quitte à prendre quelques libertés avec la vérité (les 6, et 18 mai).
Toujours dans Management, il annonce tout de go, et avec une élégance qui démontre un certain art de vivre : "J'en ai ras le cul de ne jamais lire que tout ça est le résultat du piratage." Ah ça, je comprends qu'à la perspective de se faire virer d'un poste aussi bien rémunéré provoque des écarts de langage. Mais la vérité, la dedans ? Un rapport universitaire américain (PDF, source : Management et Eric Nicolas) démontre justement que le P2P fonctionne comme une radio, assurant la promotion des titres.Enfin, on oublie souvent de dire que l'industrie musicale trouve d'autre moyens (bien plus dispendieux) de vendre des produits dérivés hors de prix, comme les Ring Tones, ces sonneries pour téléphone portables, avec des marges allant jusqu'à 55% pour les maisons de disque.
Bref, même pour une personne honnète comme votre serviteur, il est de plus en plus difficile d'acheter légalement de la musique pour l'écouter comme bon lui semble : avec les dispositifs anti-copie, impossible de l'écouter sur mon auto-radio (je ne laisse pas de CD originaux dans ma voiture, pas folle, la guêpe !) ni mon iPod, qui sont les deux façons préférées d'écouter de la musique.Alors voilà, à force de :Vendre des produits de qualité décroissante ;Privilégier le matraquage marketing à la qualité de la production ;Prendre par défaut tous les clients pour des truands et le crier haut et fort, quitte à mentir ;Empêcher les utilisateurs légitimes de consommer le produit comme bon leur semble ;Restreindre les libertés individuelles en influençant les législateurs ;...il ne faut pas s'étonner si on rue dans les brancards.
Je laisse la conclusion à l'un des grands patrons de l'industrie française du disque, interviewé par Télérama sous condition d'anonymat :Ca fait longtemps que j'ai compris qu'on allait tous dans le mur. Que le modèle économique fondé sur le CD était en train de s'effondrer... Il ne faut pas être sorcier pour voir que tout est à réinventer. Tout ! Mais parler de ça en ces termes-là, par les temps qui courent... (...) Le problème, c'est qu'on s'est tous désintéressés de la partie la plus importante du métier : la production. Découvrir des artistes de qualité, les soutenir, c'était ça, le métier. Mais avec le temps, on a perdu la main. Beaucoup d'artistes se produisent seuls, les gros parce qu'ils ont les moyens, les petits grâce aux nouvelles technologies. Résultat, nous sommes devenus des marchands, des intermédiaires en charge de la promotion et de la distribution. Et comme aujourd'hui, la distribution de la musique risque aussi de nous échapper...
J'espère que Pascal Nègre n'a pas trouvé qui était ce collègue qui dit un peu trop franchement la vérité. Sinon, il risque fort de passer un sale quart d'heure !
Mise à jour :Une délicieuse interview de David Crosby (celui de Crosby, Still, Nash and Young, et aussi des Byrds)The people who run record companies now wouldn't know a song if it flew up their nose and died. They haven't a clue, and they don't care. You tell them that, and they go, "Yeah? So, your point is?" Because they don't give a s---. They don't care. They're actually sort of proud that they don't care. Look at it this way. A couple of years ago, somewhere between a fourth and a third of the record business was owned by a whiskey company, who shall remain nameless, but were notably inept at running a record company. And they sold it to a French water company, who shall also remain nameless, but knew even less. Now, those guys haven't a clue! (laughter) They haven't a clue. And they don't care about having a clue. They are trying to run it as if they're selling widgets, plastic-wrapped widgets that they can sell more of. And they want easily definable, easily accessible, easily creatable, controllable product that has a built-in die-out, so that they can create some more.
Allez, je me fends d'une traduction pour les anglophobes :Les gens qui dirigent les maisons de disque ne reconnaitraient pas une chanson s'ils en avaient une sur le bout du nez. Il n'y comprennent rien et il s'en fichent. Vous leur dites, et ils répondent "Oui, et alors ?", parce qu'ils s'en contrefoutent. Ca ne les intéresse pas. D'une certaine manière, ils sont fiers de ne pas s'intéresser à cela. Voilà comment on peut voir les choses : il y a quelques années, entre un quart et un tiers de l'industrie du disque appartenait à une société qui fait du whisky, dont je tairais le nom (NdT : Seagram, qui appartient à la famille Bronfman), mais qui était notablement inapte à faire fonctionner une entreprise qui fait des disques. Et ils l'ont vendue à une entreprise française dans le domaine de l'eau (NdT : tout le monde aura reconnu la Générale des Eaux / Vivendi), que je ne citerais pas, mais qui s'y connaissait encore moins. Ca c'est vraiment des gens qui n'y connaissaient rien du tout ! (Rires). Mais alors, rien du tout. Et ils s'en fichent, de n'y rien comprendre. Ils essayent de diriger cette entreprise de vente de bidules, des bidules en plastiques mis sous cellophane, et ils essayent d'en vendre encore plus. Ils veulent un produit définissable, aisément accessible, facile à créer, contrôlable, qui se périme tout seul, pour qu'il puissent en créer d'autres.
Par ailleurs, j'ai trouvé via un lecteur un communiqué de presse de l'ADAMI, qui démontre que tout le monde, dans l'industrie du disque, ne croit pas à une solution purement répréssive. Une lueur d'espoir, tous n'ont donc pas l'âme aussi sombre que celle de Pascal Nègre (pardonnez-moi ce mauvais calembour, je n'ai pas pu résister...)
http://standblog.org/blog/2004/05/28/93113511-le-pirate-ce-bouc-emissaire