Pour mieux s’évader fiscalement ? Pas dit. En tout cas pas maintenant.
Emoi ce samedi après les révélations de La Libre : "Bernard Arnault, la première fortune de France et la quatrième fortune mondiale, a introduit une demande à la commission des naturalisations. Ses motivations restent confidentielles même si tout le monde les imagine fiscales. Tout un symbole..." En effet, cette envie de rejoindre le peuple belge coïncide étrangement avec la future application de la taxe de 75% pour les très hauts revenus promise par François Hollande pendant sa campagne. En France, les réactions scandalisées, compilées parle Parisien , ne se font pas attendre : d’un côté l’UMP piétine la taxe et le gouvernement (selon Fillon, "quand on prend des décisions stupides, on arrive à ces résultats effrayants"), de l’autre on aiguise plus ou moins la guillotine. Chevènement estime que "les élites françaises, dans leur immense majorité, ne croient plus en la France" (à moins que ce ne soit l’inverse non ?), Harlem Désir claironne que "quand on aime la France, on ne la quitte pas par gros temps", le PC parle de "lâche désertion" et Jean-Luc Mélenchon propose en représailles l'application d’une "taxe sur les déserteurs fiscaux". Tout le monde est d’accord sur un point : cette demande de nationalité belge est la conséquence de la taxe à 75%. Or, c’est un tout petit peu plus compliqué… |
D’abord, la nationalité belge ne dispensera pas Arnault de payer ses impôts en France car, comme le précisait maître Eolas hier, seul le lieu de résidence compte. Sur le site du Parisien, un fiscaliste confirme : "ce n’est pas parce qu’on est de nationalité française qu’on est soumis à l’impôt en France, mais bien parce qu’on y est domicilié. Et ce, même si on est brésilien, belge ou néerlandais." Mais alors, quel intérêt ? Selon une source citée par l’AFP samedi, Bernard Arnault aurait demandé la nationalité belge "pour faciliter un projet «sensible» d'investissement en Belgique, via sa holding personnelle, et non pour des raisons fiscales." Quel projet ? Top secret. Mais on est prié de croire que cette demande n'a rien à voir avec de l'exil fiscal. D’ailleurs, Arnault n’avait-t-il pas déclaré que "la France est un des pays les plus agréables à vivre, c’est d’ailleurs pour ça qu’on accepte d’y rester en payant beaucoup plus d’impôt qu’ailleurs ?" Ce sens du sacrifice n’avait pas échappé à Didier Porte lors de sa chronique consacrée au merveilleux homme d’affaires.
Fait-on pour autant un mauvais procès à Arnault ? Pas forcément. Selon un autre fiscaliste, cité toujours dans le Parisien, il y a deux hypothèses : ou le patron de LVHM anticipe le fait qu’un jour "la nationalité puisse devenir un critère de taxation" ou il use de la ficelle archi-connue des avocatsà à savoir obtenir la nationalité belge pour rejoindre ensuite Monaco. En effet, "il existe une convention entre Monaco et la France qui stipule que toute personne de nationalité française, mais résidant à Monaco demeure soumise aux impôts français". Tandis que les Belges, eux, ne sont pas soumis à cette règle. Souvenez-vous : en son temps, Johnny Halliday avait tenté le coup, sans succès.
75% VIDÉS DE LEUR SUBSTANCE ?
Autre question qu’on peut également se poser : Arnault a-t-il raison de craindre la taxe de 75% promise par le gouvernement ? Selon toute vraisemblance, non. Hollande a beau jurer-cracher que sa promesse sera bel et bien tenue (encore vendredi à Evian ), la presse économique ne se fait guère d’illusion : elle sera peut-être tenue mais vidée de sa substance. Fin août, le site de L’Expansion.com résumait la peau de chagrin : de un, selon le Canard enchaînérepris sur le site Foot01.com, les sportifs, les artistes, les cinéastes et autres créateurs en seraient totalement exonérés. De deux, Bercy sera obligé de composer avec les grands patrons et les cadres qui menacent de partir à l’étranger. Conclusion : la taxe devrait au final ne s’appliquer qu’à un petit millier de personnes (au lieu des 3 600 visées). Dont Arnault ? Pas dit là encore.
Selon une info du Figaro publiée jeudi, "le seuil de déclenchement de la taxe serait aménagé. Un célibataire tombera sous le couperet des 75% s'il gagne plus de un million par an. Mais pour un couple ou une famille avec enfants, il faudra que les revenus du foyer fiscal dépassent deux millions d'euros par an pour que la taxe s'applique. En revanche, les enfants ne donneraient droit à aucun avantage. En outre, la taxe ne s'appliquerait qu'aux revenus du travail : salaires, traitements et primes. Les revenus du capital - plus-values sur les cessions d'actions, d'immobilier, dividendes, intérêts - en seraient exonérés." L'armée de fiscalistes travaillant pour Arnault trouvera sans aucun doute une façon de contourner la méchante taxe.
C'est en tout cas ce qu'estime Thomas Piketty, très en colère. Interrogé par Rue89, l’auteur de la Révolution fiscale (bien connu de l’éconaute qui l’a suivi ici et harcelé là ) estime que "ce n’est vraiment pas malin d’instaurer un taux très élevé sur une assiette très étroite [les seuls salaires, ndlr]. Il vaudrait bien mieux appliquer un taux moins élevé, 60% par exemple, sur une assiette large, qui inclurait les revenus de l’épargne. Les assiettes étroites facilitent les contournements : les cadres dirigeants concernés par cette taxe vont se faire verser une partie de leur rémunération sous d’autres formes : dividendes, stock-options, etc." Verdict : le gouvernement a tout faux. Pourquoi si peu d’audace ? Piketty a "l’impression que le gouvernement traîne cette promesse de 75% comme une douleur dont il veut se débarrasser le plus vite possible." A moins, et c’est l’hypothèse qu’il formule pour L’Expansion.com, que cela vienne "surtout de la nullité des gens qui nous gouvernent". Et toc, dans les dents.
Source : Arrêt sur Images