Je signale aux Guignols que depuis l'élection il a repris 10 kg ! Au moins...
Voilà donc, avec François Hollande à l'Elysée, les socialistes enfin à l'œuvre sur la question des retraites. Jusqu'à présent, ils en parlaient souvent, critiquaient les réformes des autres mais n'agissaient presque jamais. On allait donc voir une réforme de gauche. Hélas, ce qu'a annoncé le Premier ministre Jean-Marc Ayrault est sans surprise. Le plan 2013 de sauvegarde du système de retraite, dont le principal objectif semble être de minimiser les cortèges de mécontents, s'inscrit dans la continuité des plans précédents - 1993 (Balladur), 1995 (Juppé, avorté), 2003 (Raffarin), 2007 (Sarkozy), 2011 (Fillon) - avec à chaque fois le même cocktail de mesures : allongement de la durée du travail, dégradation sur le long terme du ratio entre salaires et pensions, tentatives d'unification minimales, voire mensongères, des 21 régimes de retraite obligatoires...
Si les remèdes se ressemblent d'une majorité à l'autre, c'est qu'ils sont issus d'une même matrice : le Livre blanc sur les retraites, commandé et préfacé par Michel Rocard, alors Premier ministre de François Mitterrand, en 1991. Avec le recul, ce rapport aura engendré un consensus droite-gauche inavoué mais solide, qui perdure depuis maintenant vingt-deux ans ! Car, malgré les cris des uns et des autres, aucun basculement de majorité n'a conduit à la remise en cause des dispositifs adoptés précédemment. Lionel Jospin s'était bien gardé de toucher à la réforme Balladur, pourtant extrêmement sévère pour les salariés du privé ; Fillon a utilisé l'argent du Fonds des réserves des retraites du même Jospin ; Hollande conserve l'âge obligatoire de départ à 62 ans de Fillon, et c'est Marisol Touraine, qui pourfendait en 2011 à l'Assemblée nationale la réforme de la droite, qui se retrouvera sur le banc des ministres en octobre. Ce Livre blanc est donc une réussite politique totale. Une sorte d'équivalent pour les retraites françaises du mot d'ordre thatchérien «Tina» («There is no alternative») : il n'y a pas d'autre solution...
En revanche, l'efficacité pratique de ce consensus n'est pas évidente : la France est, depuis près d'un quart de siècle, en état de réforme des retraites permanent, chaque dispositif, si sophistiqué soit-il, se révélant rapidement insuffisant. Et, à force de répétition, le roi est peu à peu mis à nu. L'axe des réformes, l'allongement de la durée du travail (par l'allongement des cotisations ou le recul de l'âge légal de départ) sont devenus si peu soutenables que l'on y apporte des correctifs coûteux pour les catégories de personnels qu'ils affectent trop.
En 2003, quand il est décidé de cotiser jusqu'à 42 ans, la droite et la CFDT instituent ainsi les « carrières longues » pour permettre à ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans de partir plus tôt (3 milliards par an). En 2013, quand les 43 ans sont programmés, on invente le « compte pénibilité » (2,5 milliards par an) pour compenser la moindre espérance de vie des salariés employés à des tâches usantes. Et puis on trouvera ensuite un dispositif pour aider les cadres à racheter des années d'études pour leur éviter de bosser jusqu'à 70 ans et plus ! Et puis les femmes (dont les pensions sont réduites par les inégalités de salaire et les trajectoires hachées par les maternités), et puis les précaires, les chômeurs, les handicapés...
En 2040, ces mesures correctrices, au nom de la « justice », et qui ne sont en fait que des béquilles pour un système intenable, représenteront une « dépense » de 4,3 milliards d'euros. Plus du quart du financement supplémentaire (16 milliards) indispensable pour équilibrer le régime de retraite du privé sera ainsi consacré à des « compensations » en direction de certains publics. Quant aux entreprises, pas touche ! Pour peu qu'on fasse mine d'augmenter leurs cotisations, le ministre de l'Economie se précipite devant le Medef pour l'assurer que l'Etat les remboursera « à l'euro près ».
Ces « pertes en lignes » seraient acceptables s'il s'agissait effectivement de réparer des « injustices » du système des retraites, or ce sont des dysfonctionnements de la société du travail qu'on tente ainsi de compenser par un système de retraite qui ressemble de plus à une usine à gaz à bout de souffle. Une vraie réforme devrait commencer par le commencement et s'attaquer aux questions non résolues qui plombent toujours notre système de retraite.
Eradiquer la pénibilité plutôt que la compenser
S'il faut évidemment permettre aux salariés cassés par le labeur de partir avant les autres, c'est parce que la France affiche un retard considérable en matière de prévention des risques et d'amélioration des conditions de travail. Les ouvriers ont une espérance de vie en bonne santé de sept ans inférieure à celle des cadres, et que propose-t-on ? De les « indemniser » en leur permettant de partir en retraite au mieux deux années plus tôt. Un marchandage immoral ! Plutôt que de donner un prix à la non-vie, le dispositif « pénibilité » (dont les entreprises de plus n'auront à assumer que le tiers du coût) devrait donner le jour à un bonus-malus qui engagerait un mouvement rapide de disparition des conditions de travail dangereuses ou trop fatigantes.
Eradiquer les inégalités hommes-femmes au travail
S'il faut évidemment servir des pensions décentes aux femmes à la retraite, c'est encore parce que persiste un insupportable différentiel des rémunérations de 25 % entre les femmes et les hommes, ou qu'elles peuplent à 85 % les emplois à temps partiel, souvent non choisi. L'obligation de négocier dans les entreprises pour réduire ces injustices a bien été établie en 2011, mais le ministre de l'époque, Xavier Bertrand, a évité toute sanction pour celles qui ne feraient aucun effort ! Le remède existe, appliqué à La Poste, qui met de côté une partie de sa masse salariale pour résorber ces inégalités. Il suffit de généraliser cette pratique.
Réintégrer les jeunes dans le travail
Si les jeunes sont si perplexes devant leurs propres perspectives de retraite, n'est-ce pas d'abord parce qu'ils ont l'impression, justifiée, que le marché de l'emploi leur est fermé ? Non seulement les entreprises rechignent à intégrer les jeunes, mais en plus l'enseignement supérieur accepte de jouer les parkings d'attente pour futurs chômeurs. Le modèle français du «diplôme d'abord» est devenu contre-productif. A l'instar de leurs collègues allemandes, qui accueillent plusieurs millions d'apprentis de tous niveaux, les entreprises doivent accepter de former leur main-d'œuvre et, à l'inverse, l'université doit intégrer massivement des jeunes ayant déjà travaillé.
Redonner le goût du travail
Si les salariés de plus de 45 ans, les cadres en particulier, sont terrorisés à l'idée de devoir travailler au-delà de 62 ans, n'est-ce pas d'abord et principalement parce qu'ils sont tenaillés par la peur de finir leur vie active par la case Pôle emploi ? La France se distingue par son faible taux d'emploi des plus de 55 ans : 39,7 %, très loin de la Suède (70,5 %), de l'Allemagne (57,7 %) ou du Royaume-Uni, la moyenne de l'Europe des 27 étant de 46,3 %.
N'est-ce pas parce que les modes de management néolibéraux ont transformé l'exercice de nombreux métiers en véritable chemin de croix (lire l'article de Jacqueline Remy dans Marianne n° 853), révélé par la vague de suicides dans les grandes entreprises comme La Poste ou France Télécom, que les travailleurs du privé, du public, mais aussi indépendants voient dans la retraite une sorte de refuge ultime, un havre où ils seront à l'abri du licenciement, de la précarité et de l'enfermement dans un boulot qui perd son sens ? La France s'est fourvoyée dans des modes de management par le stress et un autoritarisme hiérarchique digne des sociétés de l'Ancien Régime. Si les modèles allemands ou nordiques doivent être imités, c'est bien dans la manière de considérer les salariés comme des collaborateurs et dans leur respect d'une démocratie sociale, qui font de l'entreprise un collectif et redonnent au travail un sens... commun. Ajoutons que le bazar de la formation permanente française, peu efficace et peu soucieuse des chômeurs, n'arrange pas les choses...
Recréer la croissance d'urgence
Il n'y a aucune solution à long terme sans réduction du chômage et de la précarité. D'abord, parce que l'équilibre des régimes sociaux n'est possible qu'avec un retour à un taux de chômage aux alentours de 5 %. Laurence Dequay a déjà expliqué ici même combien pèse le « coût du non-travail » (lire Marianne n° 851). Il suffit de rappeler que la chute de l'emploi salarié pendant la crise a déjà généré plus de 14 milliards d'euros de pertes pour les régimes de retraite, à peu près l'équivalent du manque de financement prévu en 2020. On mesure très concrètement l'effet conjugué des délocalisations et des politiques d'austérité en Europe depuis le début 2009.
Contrairement à la vulgate orthodoxe, ce n'est pas le poids des retraités qui bloque les réformes, c'est la réalité des entreprises et du marché du travail qui fait peser sur le système des retraites des attentes qu'il est bien incapable de satisfaire, ce qui finit par faire obstacle aux vraies réformes nécessaires. Ce sont donc toutes les conditions du travail - économiques, sociales, sociologiques - qu'il faut commencer par réformer.
Article publié dans le numéro 855 du magazine Marianne
Si les remèdes se ressemblent d'une majorité à l'autre, c'est qu'ils sont issus d'une même matrice : le Livre blanc sur les retraites, commandé et préfacé par Michel Rocard, alors Premier ministre de François Mitterrand, en 1991. Avec le recul, ce rapport aura engendré un consensus droite-gauche inavoué mais solide, qui perdure depuis maintenant vingt-deux ans ! Car, malgré les cris des uns et des autres, aucun basculement de majorité n'a conduit à la remise en cause des dispositifs adoptés précédemment. Lionel Jospin s'était bien gardé de toucher à la réforme Balladur, pourtant extrêmement sévère pour les salariés du privé ; Fillon a utilisé l'argent du Fonds des réserves des retraites du même Jospin ; Hollande conserve l'âge obligatoire de départ à 62 ans de Fillon, et c'est Marisol Touraine, qui pourfendait en 2011 à l'Assemblée nationale la réforme de la droite, qui se retrouvera sur le banc des ministres en octobre. Ce Livre blanc est donc une réussite politique totale. Une sorte d'équivalent pour les retraites françaises du mot d'ordre thatchérien «Tina» («There is no alternative») : il n'y a pas d'autre solution...
En revanche, l'efficacité pratique de ce consensus n'est pas évidente : la France est, depuis près d'un quart de siècle, en état de réforme des retraites permanent, chaque dispositif, si sophistiqué soit-il, se révélant rapidement insuffisant. Et, à force de répétition, le roi est peu à peu mis à nu. L'axe des réformes, l'allongement de la durée du travail (par l'allongement des cotisations ou le recul de l'âge légal de départ) sont devenus si peu soutenables que l'on y apporte des correctifs coûteux pour les catégories de personnels qu'ils affectent trop.
En 2003, quand il est décidé de cotiser jusqu'à 42 ans, la droite et la CFDT instituent ainsi les « carrières longues » pour permettre à ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans de partir plus tôt (3 milliards par an). En 2013, quand les 43 ans sont programmés, on invente le « compte pénibilité » (2,5 milliards par an) pour compenser la moindre espérance de vie des salariés employés à des tâches usantes. Et puis on trouvera ensuite un dispositif pour aider les cadres à racheter des années d'études pour leur éviter de bosser jusqu'à 70 ans et plus ! Et puis les femmes (dont les pensions sont réduites par les inégalités de salaire et les trajectoires hachées par les maternités), et puis les précaires, les chômeurs, les handicapés...
En 2040, ces mesures correctrices, au nom de la « justice », et qui ne sont en fait que des béquilles pour un système intenable, représenteront une « dépense » de 4,3 milliards d'euros. Plus du quart du financement supplémentaire (16 milliards) indispensable pour équilibrer le régime de retraite du privé sera ainsi consacré à des « compensations » en direction de certains publics. Quant aux entreprises, pas touche ! Pour peu qu'on fasse mine d'augmenter leurs cotisations, le ministre de l'Economie se précipite devant le Medef pour l'assurer que l'Etat les remboursera « à l'euro près ».
Ces « pertes en lignes » seraient acceptables s'il s'agissait effectivement de réparer des « injustices » du système des retraites, or ce sont des dysfonctionnements de la société du travail qu'on tente ainsi de compenser par un système de retraite qui ressemble de plus à une usine à gaz à bout de souffle. Une vraie réforme devrait commencer par le commencement et s'attaquer aux questions non résolues qui plombent toujours notre système de retraite.
Eradiquer la pénibilité plutôt que la compenser
S'il faut évidemment permettre aux salariés cassés par le labeur de partir avant les autres, c'est parce que la France affiche un retard considérable en matière de prévention des risques et d'amélioration des conditions de travail. Les ouvriers ont une espérance de vie en bonne santé de sept ans inférieure à celle des cadres, et que propose-t-on ? De les « indemniser » en leur permettant de partir en retraite au mieux deux années plus tôt. Un marchandage immoral ! Plutôt que de donner un prix à la non-vie, le dispositif « pénibilité » (dont les entreprises de plus n'auront à assumer que le tiers du coût) devrait donner le jour à un bonus-malus qui engagerait un mouvement rapide de disparition des conditions de travail dangereuses ou trop fatigantes.
Eradiquer les inégalités hommes-femmes au travail
S'il faut évidemment servir des pensions décentes aux femmes à la retraite, c'est encore parce que persiste un insupportable différentiel des rémunérations de 25 % entre les femmes et les hommes, ou qu'elles peuplent à 85 % les emplois à temps partiel, souvent non choisi. L'obligation de négocier dans les entreprises pour réduire ces injustices a bien été établie en 2011, mais le ministre de l'époque, Xavier Bertrand, a évité toute sanction pour celles qui ne feraient aucun effort ! Le remède existe, appliqué à La Poste, qui met de côté une partie de sa masse salariale pour résorber ces inégalités. Il suffit de généraliser cette pratique.
Réintégrer les jeunes dans le travail
Si les jeunes sont si perplexes devant leurs propres perspectives de retraite, n'est-ce pas d'abord parce qu'ils ont l'impression, justifiée, que le marché de l'emploi leur est fermé ? Non seulement les entreprises rechignent à intégrer les jeunes, mais en plus l'enseignement supérieur accepte de jouer les parkings d'attente pour futurs chômeurs. Le modèle français du «diplôme d'abord» est devenu contre-productif. A l'instar de leurs collègues allemandes, qui accueillent plusieurs millions d'apprentis de tous niveaux, les entreprises doivent accepter de former leur main-d'œuvre et, à l'inverse, l'université doit intégrer massivement des jeunes ayant déjà travaillé.
Redonner le goût du travail
Si les salariés de plus de 45 ans, les cadres en particulier, sont terrorisés à l'idée de devoir travailler au-delà de 62 ans, n'est-ce pas d'abord et principalement parce qu'ils sont tenaillés par la peur de finir leur vie active par la case Pôle emploi ? La France se distingue par son faible taux d'emploi des plus de 55 ans : 39,7 %, très loin de la Suède (70,5 %), de l'Allemagne (57,7 %) ou du Royaume-Uni, la moyenne de l'Europe des 27 étant de 46,3 %.
N'est-ce pas parce que les modes de management néolibéraux ont transformé l'exercice de nombreux métiers en véritable chemin de croix (lire l'article de Jacqueline Remy dans Marianne n° 853), révélé par la vague de suicides dans les grandes entreprises comme La Poste ou France Télécom, que les travailleurs du privé, du public, mais aussi indépendants voient dans la retraite une sorte de refuge ultime, un havre où ils seront à l'abri du licenciement, de la précarité et de l'enfermement dans un boulot qui perd son sens ? La France s'est fourvoyée dans des modes de management par le stress et un autoritarisme hiérarchique digne des sociétés de l'Ancien Régime. Si les modèles allemands ou nordiques doivent être imités, c'est bien dans la manière de considérer les salariés comme des collaborateurs et dans leur respect d'une démocratie sociale, qui font de l'entreprise un collectif et redonnent au travail un sens... commun. Ajoutons que le bazar de la formation permanente française, peu efficace et peu soucieuse des chômeurs, n'arrange pas les choses...
Recréer la croissance d'urgence
Il n'y a aucune solution à long terme sans réduction du chômage et de la précarité. D'abord, parce que l'équilibre des régimes sociaux n'est possible qu'avec un retour à un taux de chômage aux alentours de 5 %. Laurence Dequay a déjà expliqué ici même combien pèse le « coût du non-travail » (lire Marianne n° 851). Il suffit de rappeler que la chute de l'emploi salarié pendant la crise a déjà généré plus de 14 milliards d'euros de pertes pour les régimes de retraite, à peu près l'équivalent du manque de financement prévu en 2020. On mesure très concrètement l'effet conjugué des délocalisations et des politiques d'austérité en Europe depuis le début 2009.
Contrairement à la vulgate orthodoxe, ce n'est pas le poids des retraités qui bloque les réformes, c'est la réalité des entreprises et du marché du travail qui fait peser sur le système des retraites des attentes qu'il est bien incapable de satisfaire, ce qui finit par faire obstacle aux vraies réformes nécessaires. Ce sont donc toutes les conditions du travail - économiques, sociales, sociologiques - qu'il faut commencer par réformer.
Article publié dans le numéro 855 du magazine Marianne