REFORME DE L'ETAT : La RGPP
Le président de la République trouve l'État trop gros. Il lance cet été la « révision générale des politiques publiques », régime diététique sévère en provenance du Canada. Les troupes de fonctionnaires vont fondre, les services publics vont avoir faim.
Qui a entendu parler de la « RGPP »? Pas grand monde, bien qu'à l'Elysée, à Matignon et dans tous les ministères, on riait en ce moment que ce mot à la bouche. La RGPP, c'est le petit nom de la « révision générale des politiques publiques », engagée en plein mois de juillet par le président de la République. Cette réforme importée du Canada (voir encadré) devrait plutôt s'appeler « privatisation générale des services publics », mais Nicolas Sarkozy préfère ne pas formuler les choses ainsi...
« Dès cet été, une révision générale des politiques publiques, à l'instar de celle réalisée par le Canada au milieu des années 90, sera entreprise, écrit-il dans ses lettres de mission aux membres du gouvernement Fillon. noms insistons sur le fait qu'un bon ministre ne se reconnaîtra pas à la progression de ses crédits [...]. Nous vous demandons de nous proposer des indicateurs de résultats [...]. Nous ferons le point d'ici un an de l'avancement de votre mission. » Cette semaine, les ministres vont recevoir un second courrier de Sarkozy, la lettre plafond, qui fixera précisément la baisse de leur budget et le nombre de postes de fonctionnaires à supprimer: trente-cinq mille en 2008, dont la moitié dans l'Éducation nationale.
La RGPP, c'est la réforme clé dont on n'entend pas parler parce que a priori personne — pas même les journalistes — n'y comprend rien. C'est pourtant, sous son enrobage technico-administratif, la plus idéologique, « un choc politique », selon François Fillon. Elle innerve les autres réformes (université, service minimum, justice, management de fonctionnaires...), fait trembler d'émotion les experts économiques de sensibilité libérale, qui voient le Grand Soir arriver. « Nous n'avons aucun tabou. Aucun tabou. Aucun tabou », a répété Fillon en présentant la RGPP. Peut-être. Toutefois, le gouvernement compte mener ses affaires lumières éteintes (voir encadré) et lever le lièvre pendant que les Français sont en vacances...
Des inspecteurs des finances et des équipes d'audit (cabinets de Consulting type Ernst & Young, etc.) farfouillent depuis la mi-juillet « dans tous les coins et recoins » (dixit Eric Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique) de l'Administration. Elles présenteront dès la rentrée des « scénarios » d'économies au Comité de suivi de la RGPP, piloté par Claude Guéant, Eric Besson, le directeur de cabinet de Fillon et le président du conseil d'administration de BNP Paribas, Michel Pébereau. Ce quatuor de ratiboiseurs se réunira toutes les deux semaines pour étudier les rapports d'audit et fera des propositions de coupes au Conseil de la modernisation des politiques publiques, dirigé par Sarkozy. Le président de la République réunira une première fois ce Conseil des ministres bis en novembre, pour définir de grandes orientations. La deuxième réunion aura lieu en mars 2008, et cette fois Sarkozy adoptera un plan triennal 2009-2011 de restrictions budgétaires tous azimuts. Pourquoi faire appel à des cabinets d'audit qui coûtent très cher, alors que ce travail est dans les cordes de la Cour des comptes ? Le gouvernement souhaite-t-il se débarrasser d'une institution gênante au profit du privé ?
Selon Le Cri du contribuable, un journal ultra-libéral auquel Sarkozy a accordé une interview sur la réforme de l'État juste avant la présidentielle, la RGPP s'attaquera en particulier aux hôpitaux, aux allocations et aux formations pour les chômeurs, aux retraites de la fonction publique, aux aides au logement, aux horaires des enseignants.
Après Weight Watchers et Slim. Fast, la RGPP
Le locataire de l'Elysée n'aura pas besoin de l'assentiment de l'opinion. Il dispose d'une armée de cent fonctionnaires dévoués corps et âmes. Le jour de la présentation de la RGPP au Centre de conférences internationales, à Paris, ces grands commis de l'État, Légion d'honneur à la boutonnière, étaient excités comme des puces en découvrant la nouvelle mission qui leur est confiée. Ils n'iront jamais défiler dans la rue, ils doivent leur carrière à Nicolas Sarkozy : alors qu'il était à Bercy en 2004, il leur avait accordé le titre de « secrétaire général ». Ils devenaient responsables d'un ou plusieurs programmes Lolf (loi organique relative aux lois de finances), la réforme qui a introduit la gestion par le stress dans l'Administration et sur laquelle s'arc-boute la RGPP (voir Charlie Hebdo du 17 novembre 2004). Ce sont eux qui ont mis en place, il y a un an et demi déjà, les indicateurs de performance qui sont en train de rendre fous les employés de la fonction publique.
Ainsi en Seine-Saint-Denis, où chaque type d'intervention des CRS est gratifié d'un nombre de points : un agent qui met fin à une bagarre de rue, ou qui par sa seule présence pacifie les rapports humains, n'aura aucun point et donc aucune prime, tandis qu'un de ses collègues qui interpelle en flagrant délit un barbouilleur de panneau publicitaire ou un graffiteur se verra attribuer vingt points. Dans les hôpitaux, l'infirmière qui réconforte les malades et converse avec les patients âgés et esseulés aura un salaire minable à la fin du mois, tandis que celle qui met tout le monde sous perfusion verra le sien exploser. Avec la RGPP, les conditions de travail vont encore se dégrader, puisque Eric Woerth s'apprête à faire sauter « les contraintes qui font aujourd'hui obstacle à la mobilité des agents ». Mobilité professionnelle et géographique: un prof d'arts plastiques à Nice muté prof de gym à Reims ne pourra pas refuser.
François Fillon aime à véhiculer l'état d'esprit entrepreneu-rial : ria-t-il pas déclaré qu'il était le «patron de l'Administration » et que ses ministres devaient être des « managers » ? Aujourd'hui, dans le secteur privé, de plus en plus d'employés se suicident sur leur lieu de travail. Grâce à la RGPP, ils ne seront plus les seuls, on se suicidera aussi dans l'Administration. Pratique, pour Sarkozy, cela lui fera des gens en moins à licencier.
EMMANUELLE VEIL
La RGPP , Une boucherie Canadienne
Comme le rappelle sans cesse Nicolas Sarkozy aux fonctionnaires, sa « révision générale des politiques publiques » est une copie conforme de La « revue des programmes » entreprise par le Premier ministre canadien Jean Chrétien (Parti libéral du Québec) de 1995 à 1998, période au cours de laquelle les crédits des ministères ont été amputés de 5 % à
40 %. Une boucherie financière, qui s'est traduite par la suppression d'un fonctionnaire sur six, la privatisation en masse de services publics (transports en commun, éducation, énergie, santé) et une dégradation des conditions de vie des Canadiens. Les droits d'inscription à la fac ont plus que doublé, les hôpitaux, en sous-effectifs, ont mis les malades sur liste d'attente et n'hésitaient pas à renvoyer les patients chez eux à peine réveillés d'une opération chirurgicale, le prix de l'eau du robinet, de l'électricité, des garderies, a explosé, les bibliothèques publiques ont périclité, privées d'achats de livres... Chez nous, ça va s'appeler « la modernisation de l'État ». E. V.
Comment les médias ont été éjectés de la réunion de lancement de la RGPP.
Mardi 10 juillet, François Fillon présentait officiellement la RGPP aux grands commis de l'État, réunis au Centre de conférences internationales (Paris XVIe). À la fin de son discours inaugural, alors que les choses allaient devenir intéressantes avec l'examen concret de la réforme, les journalistes présents dans la salle ont été conviés à une conférence de presse du Premier ministre. Ils étaient loin de se douter que c'était un stratagème pour les expulser du séminaire RGPP sans drame. En guise de conférence de presse, François Fillon a prononcé trois phrases pour le JT et s'est éclipsé. Ensuite, il fut impossible aux journalistes de retourner assister au séminaire. Les hôtesses barraient le couloir en agitant leurs bras en croix et en criant: « La presse, c'est fini! » Les médias sont là pour répercuter le message promotionnel du gouvernement, et puis c'est tout! E V.