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«L'avenir n'est plus ce qu'il était» [Paul Valéry]



Réalisme socialiste à l’Éducation nationale ?



Une telle violence, ça fait peur !
Une telle violence, ça fait peur !
Un excellent article de l'excellent site Agoravox.

[Agoravox.fr] url:http://www.agoravox.fr .

AgoraVox constitue l’une des premières initiatives européennes de "journalisme citoyen" à grande échelle complètement gratuite. AgoraVox est une plate-forme multimédia mise à la disposition de tous les citoyens qui souhaitent diffuser des informations inédites . Je vous reparlerai bientôt, plus en détail.

Le premier numéro de septembre-octobre 2006 de «Question d’éducation, le journal d’information de la communauté éducative» vient de paraître. Le ministre de l’Éducation nationale entend ainsi livrer à un million trois cent mille agents de son ministère l’information qui leur manquait: «Priorité à l’information!», clame le ministre dans le titre de son éditorial.

La notion d’information, selon le ministère

On tient donc là enfin, par l’usage qui en est fait, la signification du mot information que l’on chercherait vainement dans les instructions officielles de l’Éducation nationale.
- Ses index connaissent le mot « informatique », mais pas le mot « information », comme si sa définition allait de soi. On en était réduit jusqu’ici à la déduire des oppositions de mots que le ministère opérait. Le mot informer était, par exemple, employé dans une série de termes qui s’opposaient, telle que celle-ci : « (L’élève doit pouvoir) reconnaître les objectifs du message : exprimer des faits, des idées, des sentiments, informer, expliquer, argumenter, démontrer, persuader, inciter à une action, chercher à influencer, réfuter, questionner, etc... » (BOEN N°12 23.03/1989). Il en ressortait que le mot informer différait de tous les autres, de persuader, d’argumenter ou de chercher à influencer, et signifiait donc transmettre un fait avéré, sans volonté d’influencer.
- Cette acception était en outre confirmée par des notions que l’école inculque depuis une dizaine d’années à ses élèves. Elle classe, en effet, les différents discours en plusieurs catégories : le discours narratif, le discours descriptif, le discours explicatif, le discours argumentatif, le discours informatif. Il en découle forcément que le discours informatif se définit comme un discours qui, dépouillé des caractéristiques de tous les autres, se limite à livrer un ou plusieurs faits sans aucune visée d’influence sur le récepteur.
- Le ministre aujourd’hui prêche d’exemple : en qualifiant son journal de « journal d’information », il entend bien le distinguer de son jumeau répulsif, « le journal d’opinion », jugé d’emblée partisan et manipulateur, dans la bonne tradition de « la théorie promotionnelle de l’information » diffusée par les médias. Comme tout marchand d’eau minérale qui jure ne mettre que de l’eau pure dans ses bouteilles, les médias prétendent n’offrir qu’une information-vérité exempte de toute pollution d’opinion, conformément à leur hasardeuse distinction entre information et commentaire. Le choc des photos

Malheureusement, « le journal d’information » du ministre de l’Éducation nationale, prétendument préservé de toute opinion polluante, résiste mal à l’épreuve des faits.
- « Le choc des photos » lui est, d’entrée, fatal : non pas que « le journal d’information » du ministre donne, comme Paris-Match, dans le voyeurisme ! Il n’imite pas davantage ces journaux d’information municipaux qui publient la bobine de leur maire à toutes les pages. Le ministre n’apparaît que deux fois. Non, le journal fait seulement dans la guimauve édifiante : la réalité scolaire est ici vue sous l’angle de la promotion. La première de couverture, par exemple, montre de profil une jolie jeune femme, brosse et craie en mains, méditant sereinement devant un tableau. La métonymie est mignonne mais naïve : elle présente une partie d’un tout et l’effet d’une cause - c’est-à-dire une professeur sereine - pour qu’en soient déduits ce tout et cette cause - c’est-à-dire une classe entière attentive, suspendue aux lèvres de leur charmante professeur. Ça existe évidemment, c’est ce qui devrait être partout, mais est-ce vraiment l’ordinaire des établissements scolaires aujourd’hui ?
- Quant aux autres photos, elles sont aussi informatives : elles oscillent entre des scènes d’élèves studieux ou de groupes vaquant calmement dans les couloirs, sac au dos, sans bousculade ! La vraie vie de tous les jours, quoi ! Comme on le voit, « l’information » du ministre consiste à livrer une représentation promotionnelle de l’École, dans laquelle il n’entre, bien sûr, aucune opinion.
- On songe au réalisme socialiste qui contraignait les artistes, du temps de feue l’Union soviétique, à célébrer dans leurs œuvres non la rude vie quotidienne, qui aurait donné des arguments à l’ennemi capitaliste, mais la vie heureuse promise par le socialisme : photos, peintures, sculptures saisissaient donc des êtres toujours resplendissants de joie de vivre, bandant leurs muscles dans la lumière des matins qui chantent. Encore une fois, aucune opinion là-dedans ! Rien que du « discours informatif », on vous dit, sans aucune visée d’influence sur le lecteur ! Le poids des mots - euphémisme et falsification partielle

- Le confirme, d’ailleurs, la photo saugrenue choisie pour illustrer, en page 5, les « violences en milieu scolaire » : on y voit trois gamins en train de se taquiner gentiment ! Singulier euphémisme pour minimiser ce que le texte inventorie pourtant : menaces physiques ou verbales, vols, agressions sexuelles, dégradations, drogue, rackets , en oubliant les injures, les autres agressions physiques et même la tentative d’assassinat comme à Étampes en décembre 2006 !
- Cette « information » touche même à la falsification partielle quand il s’agit de rappeler le texte fondamental qui régit la protection du fonctionnaire en cas d’agression, l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Normal ! Le ministère l’a ignoré si souvent depuis sa promulgation au détriment des victimes ! Un recteur de Montpellier, dans une circulaire du 2 mai 2002, s’était même payé le luxe de réécrire la loi : il avait effrontément remplacé « l’obligation » de protection par « une simple possibilité » ! Cette fois, le ministre commence par citer fidèlement le texte - « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires » -, mais il modifie ensuite le contexte de cette obligation : il parle d’agression « dans le cadre de leurs fonctions » quand la loi parle d’agression « à l’occasion de leurs fonctions ». Quelle différence ? L’interprétation du ministre est restrictive : « dans le cadre de leurs fonctions » signifie pendant l’exercice du service, lors d’un cours ou dans l’établissement. La formule de la loi, « à l’occasion de leurs fonctions », elle, est extensive : elle protège aussi le fonctionnaire qui viendrait à être attaqué hors de l’établissement, en ville par exemple, si un élève ou un comparse venaient à l’agresser - Ça s’est vu ! - parce qu’il a mis au premier une mauvaise note ou une retenue ! Si l’intention du ministre était vraiment d’appliquer la loi à la lettre, en aurait-il falsifié certains de ses termes ?

Le ministre est donc pris à son propre piège. Il appelle information ce qui est en fait une promotion de sa politique éducative. Pouvait-il faire autrement ? Non, bien sûr, car « un journal dit d’opinion » diffuse des opinions ouvertement, quand « un journal dit d’information » croit plus habile de les répandre plus ou moins discrètement. Pas moyen d’y échapper ! L’information entendue comme un fait avéré n’existe pas : elle n’est qu’une représentation plus ou moins fidèle d’un fait. Un ministre de l’Éducation nationale ne devrait-il pas le savoir ? Et son ministère ne devrait-il pas cesser d’enseigner ces erreurs ? Journal de la communauté éducative est dès lors la seule appellation appropriée. Paul Villach

Mercredi 4 Octobre 2006

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