Alors que le nouveau site de l'Elysée a bénéficié d'une couverture médiatique habilement orchestrée par Nicolas Princen, l'« oeil de l'Elysée » sur la Toile, rien n'a filtré sur B-6, un puissant logiciel d'aide à la décision, comparable à un super logiciel de gestion d'entreprise, régulièrement utilisé par Nicolas Sarkozy et son équipe depuis 2007.
Retraites, fonction publique, immigration, fiscalité, réforme territoriale… rien n'a été décidé sans « faire tourner » B-6. Un conseiller de Nicolas Sarkozy rapporte que le Président, pourtant grand débutant en informatique, refuse la moindre réunion hors du Salon vert, où le B-6 a été installé :
« Les réunions du matin du Président et des proches conseillers commencent toujours par une synthèse de B-6. Au départ, bien sûr, on trouvait tous ça bizarre, d'autant que l'ERP [le progiciel de gestion intégré, ndlr] est moins performant qu'on ne l'affirme.
Sur l'âge des retraites, l'une de ses propositions a quand même été d'allonger la durée de travail jusque 82 ans ! Comme tout est fondé sur des calculs, la machine prend la meilleure décision en fonction du but qu'on s'est fixé et met de côté les questions humaines, émotionnelles et sociales. »
« S'adapter rapidement aux exigences des électeurs »
Rue89 a été mis sur la piste en consultant une enquête des Renseignements généraux, portant sur une toute autre affaire, et évoquant l'utilisation du logiciel par les services de la présidence. Selon cette note :
« [Le B-6 a pour objectif de] mieux coordonner les opérations et la stratégie du gouvernement, d'augmenter la productivité française et d'obtenir une vision globale des réformes sur le pays.
Il permettra au gouvernement de s'adapter rapidement aux exigences et aux changements des électeurs. »
L'auteur de la note s'interrogeait :
« Est-il prudent que le PR poursuive une action dictée par un logiciel d'intelligence artificielle, d'origine étrangère, dont les tests n'ont pas été achevés ? »
Le logiciel n'est en effet qu'un prototype. Il a été mis à disposition de l'Elysée gratuitement, permettant ainsi aux chercheurs de mesurer son efficacité.
Henri Guaino super-méfiant face au super-ordinateur
Dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, le poids de plus en plus important que prend B-6 dans les prises de décision du président, n'est pas du goût de tous. Selon un conseiller, si Henri Guaino n'assiste plus aux réunions matinales, c'est en raison d'une dispute violente avec Raymond Soubie au sujet de l'utilisation de B-6 qu'il jugeait « trop systématique ».
Cet hiver, raconte notre témoin, la réforme des lycées avec la proposition de suppression des cours d'histoire-géo a ainsi été soufflée par le logiciel. Henri Guaino, favorable à leur maintien, avait manifesté bruyamment son désaccord avec cette « idée ». Depuis, c'en est fini du Salon vert pour lui. « Il risquait de casser l'ordinateur », s'amuse-t-on au Château.
Pas franchement humaniste, B-6 a sorti le fameux chiffre de 27 000 expulsions de personnes sans-papiers à atteindre, un seuil nécessaire selon ses calculs pour atteindre le point critique susceptible d'attirer des voix du Front national. Chiffre qu'Eric Besson a eu beaucoup de mal à justifier. Sur Europe 1, il avait répondu, embarrassé : « Le chiffre n'est pas tombé du ciel. »
En 2008, le secret du B-6 avait failli être éventé par une déclaration de Carla Bruni :
« Il [Nicolas Sarkozy, ndlr] a cinq ou six cerveaux parfaitement irrigués. Je n'ai pas connu de crétins auparavant, ce n'est pas mon genre, mais lui ça va très, très vite. »
Les « six cerveaux » de Nicolas, private joke de Carla
Cette sortie mystérieuse de Carla Bruni était une allusion au nom complet du B-6 « Six brains » ou « Six cerveaux ». L'épouse de Nicolas Sarkozy, qui a l'habitude de plaisanter sur l'attachement grandissant de son mari à l'ordinateur du Salon vert, était dans le registre « private joke ».
Le rapport des RG est aussi arrivé entre les mains du Parti socialiste, qui entendait le rendre public la semaine prochaine. Mercredi dernier, une réunion s'est tenue à Solférino sur le sujet.
Mais le PS est divisé sur la riposte. Selon Razzy Hammadi, le secrétaire national aux Services publics, le parti devrait demander la constitution d'une commission d'enquête parlementaire :
« Certains éléments tendent à montrer que les réformes Bachelot et Dati (…) ont été partiellement inspirées par les modélisations de ce robot. On assiste à une déshumanisation de la politique fondée uniquement sur la logique du chiffre. C'est une dérive de notre civilisation. » (Ecouter le son)
Conçu dès les années 80 par une équipe de chercheurs américains et japonais de l'université Waseda, à Tokyo, B-6 est un outil capable d'analyser une situation et d'apporter une réponse à un problème. Martin Melva, l'un des concepteurs de B-6, a accepté de nous en expliquer le mécanisme :
« C'est assez simple. Ce logiciel, comme tous les logiciels d'aide à la décision, repose sur deux éléments : une grosse base de données et un moteur d'inférence. Ça veut dire qu'à partir de certaines règles, des pronostics vont être établis si on change tel ou tel paramètre.
Ces logiciels sont utilisés dans la plupart des secteurs, surtout en finance, en médecine… Mais B-6 est le seul à pouvoir être utilisé par un gouvernement. C'est actuellement le seul capable d'assimiler des données aussi complexes et complètes que celles d'un pays entier ! »
« C'est totalement dingue de l'appliquer à la France »
Le logiciel B-6 travaille sur un modèle à la fois économétrique et « sociométrique » : il simule les conséquences de différentes actions sur ce modèle. Interrogé par Rue89, un chercheur en intelligence artificielle, qui tient à garder l'anonymat, s'insurge :
« C'est scandaleux de travailler ainsi ! La meilleure manière de prendre une décision, c'est certes de tester plusieurs actions sur un modèle. Mais c'est totalement dingue de l'appliquer à la France ! Il y a des choses qu'on ne peut pas modéliser. »
La gouvernement espagnol, à qui le logiciel a aussi été présenté, a finalement décliné la proposition de test. Andrés Pérez, correspondant à Paris du journal espagnol Público, raconte :
« Le gouvernement espagnol avait reçu il y a dix mois une proposition pour un prétendu “logiciel d'aide à la décision politique de haut niveau”. Mais les conseillers ont pondu une note défavorable pour des raisons éthiques, parce qu'il ne leur semblait pas raisonnable d'introduire un robot dans les équipes de gouvernement.
Pendant la démo, les chercheurs ont expliqué que B-6 avait conseillé le chef de la sécurité de Areva, l'amiral Thierry d'Arbonneau, dans les prises de décision pour les opérations au Niger et les déclarations sur la rebellion touareg. Tout cela faisait un peu trop pour Zapatero, qui est plutot un mec genre éolien ou solaire. »
Contacté par Rue89, l'Elysée a démenti faire usage d'un tel logiciel.
Source rue89
N.D.L.R
Un excellent poisson d'avril de rue89. En fait je n'aurais pas eu besoin de le préciser tant il est vrai que même un programme très sophistiqué n'arriverait jamais à faire autant de conneries en si peu de temps.