Dans la sordide coulisse des prix bas
Comme toujours, pour sa rentrée, Cash Investigation a livré sa ration de séquences culte.S'il fallait n'en retenir qu'une, on n'aurait que l'embarras du choix, dans cette enquête dénonçant la course au rendement dans les entrepôts de Lidl, et la politique sociale sauvage de Free. Voici donc Elise Lucet face à un grand chef de Lidl. Elle vient de passer de longues minutes, dans les entrepôts, à regarder les manutentionnaires, aiguillonnés par des casques de commande vocale automatisée, soulever de lourds cageots. "Savez-vous quel poids vos manutentionnaires soulèvent par jour ?"demande-t-elle au grand chef. "Deux ou trois tonnes, voire davantage.". Elle : "voire davantage ?" Et de sortir de sa manche le cas d'un manutentionnaire, qui a, dans sa journée, soulevé l'équivalent de...huit tonnes. Et voilà le grand chef de Lidl pris en flagrant délit de pipeautage. Imparable.
A la fin de l'émission, la ministre du travail Muriel Pénicaut est interrogée sur le retrait du compte pénibilité du critère de port de charges lourdes. Ce critère a été retiré sur demande des patrons, car trop dur à mesurer. Imaginez. Savoir si un manutentionnaire soulève dans sa journée deux ou huit tonnes, quel cauchemar. On comprend que les patrons en aient perdu le sommeil. S'ensuit un échange confus, Penicaut assurant que le critère n'a pas été retiré, Lucet soutenant le contraire. A la vérité, comme souvent avec le macronisme, c'est entre les deux (d'ailleurs, Macron n'aime pas le terme "pénibilité", qui "induit que le travail est une douleur" (1)). Le critère de port de charges lourdes a été semi-retiré. Je m'explique (grâce à nos amis d'Alternatives Economiques) (2). On ne mesurera plus le port de charges lourdes tout au long de la carrière du manutentionnaire, mais simplement l'effet sur son corps, à quelques années de sa retraite. Autrement dit, cette mesure n'aura plus pour but d'essayer d'alléger sa charge tout au long de sa vie, mais simplement de l'envoyer au rebut en retraite anticipée deux ans plus tôt, s'il est trop usé. Tout le macronisme social est là.
Je parle du port de charges lourdes, mais je pourrais aussi évoquer l'intérêt de l'émission sur les prudhommes, les licenciements, ou le rôle des comités d'hygiène et de sécurité. C'est une formidable illustration de l'impact sur la vie et le corps des hommes et des femmes de toute réforme du code du travail. Dommage que l'émission n'ait pas été programmée une semaine plus tôt. Elle aurait peut-être grossi les rangs des manifs.
Je dis bien peut-être. Parce que la toile de fond de cet enfer moderne des entrepôts et des call centers, c'est la course aux pris bas. Lucet a montré aux clients de Lidl, aux abonnés de Free, les coulisses sordides de leurs prix ultra-compétitifs, imbattables. Plus aucun ne pourra dire qu'il ne savait pas. Mais un seul client de Lidl va-t-il boycotter les magasins ? Un seul abonné de Free va-t-il se désabonner, après cette émission ? Il serait tellement confortable de le croire.

Daniel Schneidermann
L'émission Cash Investigations est ça revoir sur le replay de France 2.
Comme toujours, pour sa rentrée, Cash Investigation a livré sa ration de séquences culte.S'il fallait n'en retenir qu'une, on n'aurait que l'embarras du choix, dans cette enquête dénonçant la course au rendement dans les entrepôts de Lidl, et la politique sociale sauvage de Free. Voici donc Elise Lucet face à un grand chef de Lidl. Elle vient de passer de longues minutes, dans les entrepôts, à regarder les manutentionnaires, aiguillonnés par des casques de commande vocale automatisée, soulever de lourds cageots. "Savez-vous quel poids vos manutentionnaires soulèvent par jour ?"demande-t-elle au grand chef. "Deux ou trois tonnes, voire davantage.". Elle : "voire davantage ?" Et de sortir de sa manche le cas d'un manutentionnaire, qui a, dans sa journée, soulevé l'équivalent de...huit tonnes. Et voilà le grand chef de Lidl pris en flagrant délit de pipeautage. Imparable.
A la fin de l'émission, la ministre du travail Muriel Pénicaut est interrogée sur le retrait du compte pénibilité du critère de port de charges lourdes. Ce critère a été retiré sur demande des patrons, car trop dur à mesurer. Imaginez. Savoir si un manutentionnaire soulève dans sa journée deux ou huit tonnes, quel cauchemar. On comprend que les patrons en aient perdu le sommeil. S'ensuit un échange confus, Penicaut assurant que le critère n'a pas été retiré, Lucet soutenant le contraire. A la vérité, comme souvent avec le macronisme, c'est entre les deux (d'ailleurs, Macron n'aime pas le terme "pénibilité", qui "induit que le travail est une douleur" (1)). Le critère de port de charges lourdes a été semi-retiré. Je m'explique (grâce à nos amis d'Alternatives Economiques) (2). On ne mesurera plus le port de charges lourdes tout au long de la carrière du manutentionnaire, mais simplement l'effet sur son corps, à quelques années de sa retraite. Autrement dit, cette mesure n'aura plus pour but d'essayer d'alléger sa charge tout au long de sa vie, mais simplement de l'envoyer au rebut en retraite anticipée deux ans plus tôt, s'il est trop usé. Tout le macronisme social est là.
Je parle du port de charges lourdes, mais je pourrais aussi évoquer l'intérêt de l'émission sur les prudhommes, les licenciements, ou le rôle des comités d'hygiène et de sécurité. C'est une formidable illustration de l'impact sur la vie et le corps des hommes et des femmes de toute réforme du code du travail. Dommage que l'émission n'ait pas été programmée une semaine plus tôt. Elle aurait peut-être grossi les rangs des manifs.
Je dis bien peut-être. Parce que la toile de fond de cet enfer moderne des entrepôts et des call centers, c'est la course aux pris bas. Lucet a montré aux clients de Lidl, aux abonnés de Free, les coulisses sordides de leurs prix ultra-compétitifs, imbattables. Plus aucun ne pourra dire qu'il ne savait pas. Mais un seul client de Lidl va-t-il boycotter les magasins ? Un seul abonné de Free va-t-il se désabonner, après cette émission ? Il serait tellement confortable de le croire.

Daniel Schneidermann
L'émission Cash Investigations est ça revoir sur le replay de France 2.