Développé dès les années 1990 par l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen, le thème de la décroissance s’appuie sur les limites imposées par les lois de la nature. « Notre planète finie ne peut pas soutenir un système économique basé sur la croissance infinie. Pourtant, le principe de la mondialisation est qu’il faudrait encourager encore plus de monde à adhérer à ce système destructeur. »
Un passionnant ouvrage collectif publié par le mensuel Silence (3) souligne que cette décroissance pose la question du pourquoi de notre société, remet en cause la croyance en une technologie salvatrice. Il montre ce que cette idée a de dérangeant au moment où, à écouter certains hommes politiques, consommer est un devoir civique. Mais qui est à contre-courant ? « Il est reproché aux écologistes de vouloir faire marche arrière. Or c’est la civilisation moderne qui régresse à chaque fois que nous diminuons la couche d’ozone, que la déforestation s’étend un peu plus… » Pour les auteurs, le terme de développement durable n’est qu’une « figure de rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires ». Les intervenants cernent la réalité de la décroissance (réformer l’automobile, l’énergie, nos rapports aux autres, accepter de payer le vrai prix des choses, prendre le temps de vivre…), une simplicité volontaire qui permettrait de redonner la priorité à la qualité de vie.
Après un passionnant tour d’horizon des problèmes écologiques de notre planète, Yves Cochet et Agnès Sinaï (4) s’arriment aussi à l’idée de la décroissance matérielle. Cet ouvrage très mordant nous mène dans les coulisses des négociations de l’Organisation mondiale du commerce, du dernier sommet de Johannesburg, ou nous convie à la table des bras de fer menés par le lobby nucléaire. Il fait aussi une analyse intéressante du déni de la crise écologique mondiale soulignant l’aveuglement des responsables politiques : Jacques Chirac a fait « un discours enflammé (…) sur le développement durable à Johannesburg, rien ne s’ensuivit ». Les auteurs insistent sur le fait qu’il n’existe aucune instance mondiale « à la hauteur » capable de prendre en main cette crise environnementale majeure.
Dénonçant cette indifférence coupable, ils rappellent également que les pensées marxiste et libérale se sont « enfermées dans la seule problématique production-consommation » et ne se sont jamais intéressées à la nature autrement que comme source « d’énergies ou de matières premières ». Les auteurs souhaitent « l’émergence d’un homo œcologicus qui sera constitutive de sociétés faites d’attachements plutôt que d’individualismes. A chacun d’y œuvrer, vite. En deux générations, la situation peut changer. Dans deux générations, elle ne changera plus ».
Philippe Bovet.
(1) Richard Douthwaite, The Growth Illusion, New Society Publishers, Gabriola Island, Canada, 1999, 350 pages, 12,95 livres.
(2) Lire Serge Latouche, « Pour une société de décroissance », Le Monde diplomatique, novembre 2003.
(3) Objectif décroissance, Vers une société harmonieuse, Parangon, Lyon, 2003, 220 pages, 13 euros.
(4) Sauver la Terre, Fayard, Paris, 2003, 280 pages, 19 euros.