Qu'en termes élégants ces choses-là sont dites !!!.....et un vrai régal de lecture
Objet : : Mme Royale ou quand la vie du roi n'est pas un conte de fées ...
Paris, le 3 avril,
Madame,
Vous voici donc presque reine de France ! Rayonnante de votre beauté académique, vous avancez, distribuant vos éclatants sourires comme autant d'aumônes, prête à guérir les écrouelles, à soulager les scrofuleux. Votre retour en grâce est un triomphe ! Vous dégustez, savourez sans barguigner cette éclatante revanche.
Un temps, fort long selon votre goût, car la Cour vous a proscrite, reléguée, bannie, pestiférée. Elle s'est moquée, gaussée de la litanie de vos malheurs. Stoïque, vous n'en avez rien laissé paraître, Madame, vous montrant fort aimable sans jamais grincer sur le sort qui vous était réservé, insensible que vous fûtes aux vilénies que l'ancienne favorite du roi s'employa à ourdir à des fins de causer votre perte. Quant vint le temps de sa disgrâce, vous vous tîntes coite : mais votre cœur s'emballa à l'idée de connaître la fin d'un pesant exil.
L'avenir, radieux, vous sourit à nouveau : le roi vous a adoubée en faisant de vous sa ministre des Fleurs des champs et des Petits oiseaux, une charge que les Pastoureaux de la Mère Duflot ont dédaigneusement rejetée.
A vous donc, Madame, gloire et beauté : vous voici à présent ointe des huiles les plus raffinées, des onguents les plus rares, ceux qui vous confèrent ce teint éclatant adorné de ce ravissant chignon qui sied à ravir.
Vous ne manquerez pas de poser aux côtés du roi ... Quel couple de vitrail ! Lui, précédé de sa petite bedaine d'oyer-rôtisseur, toujours aussi boudin de figure, hésitant, tremblotant dans ses surtouts si tristement et maladroitement coupés. Vous, Madame, lumineuse telle une madone de transept, nimbée de votre gloire de Niquée.
Mais vous avez trop souffert, Madame, pour ignorer que ce délicieux madrigal dissimule une réalité où le noir le dispute âprement au rose.
Souffrez donc, Madame, qu'une marquise un peu décatie, rafraîchisse votre esprit de quelques vérités que vous serez si prompte à oublier tant votre audace et vos emportements viennent à troubler votre vue.
Ce retour à la Cour est une comédie bouffe ! Les gazetiers étrangers ont ainsi trempé leurs plumes dans une encre d'une âcreté sans égale pour se gausser, jaboter, ironiser sur l'étrangeté de votre élévation. Après avoir chassé du Château son encombrante et rétive favorite d'alors, le roi s'est donc pris de faire revenir près de lui la mère de ses enfants qu'il avait répudiée pour s'enfuir dans le lit d'une audacieuse courtisane dépourvue de scrupules. Ces mêmes gazetiers, ha les impudents que voici ! ne craignent pas un instant écrire qu'une telle pièce de boulevard n'aurait jamais été donnée pour cause de ridicule et de bouffonnerie.
Mais le Flou a tant de choses à se faire pardonner : il n'a, pas un moment, songé au caractère fantasque, saugrenu, inédit et pour tout dire, désinvolte de sa décision. Car il s'agit bien de sa décision, et non celle du comte Valls, son nouveau Grand chambellan, qui ne vous souffre guère. A l'instar du comte Fabius de Pomponné qui vous moqua cruellement quand vous briguâtes la couronne de France.
Sachant la tradition des sans culottes de s'entredévorer même et surtout en place publique, voici qui nous promet de belles heures, même si, à présent, personne ne se prend de moufter : pardonnez, Madame, la trivialité de mon propos.
Le roi et son Grand chambellan n'auront guère le loisir de connaître la sérénité qui commande l'exercice du pouvoir. Vous êtes, Madame, impétueuse, parfois irréfléchie ; vous êtes rebelle à toute forme d'autorité et personne ne peut se targuer d'avoir un jour réussi à vous faire entendre raison. Si la comparaison n'était pas si peu flatteuse, l'on vous verrait telle une vachette landaise, grattant le sol avec frénésie, prête à encorner le premier des culs qui s'offre.
C'est bien là l'un des nombreux cauchemars qui troublera bientôt le sommeil du comte de Catalogne. Le voici qui va devoir encore toréer sans fin pour apaiser les conflits qui ne manqueront pas d'éclater entre le duc de Montebourg et Monsieur de Monbeausapin désormais cousus aux finances, tels deux chats entiers jetés dans un sac de jute.
Ce portrait d'une famille un temps décomposée puis recomposée sous les plus sombres augures serait incomplet si l'on ne faisait ici état de la bouderie de la duchesse de Flandre qui, si elle en avait l'heur, vous ferait servir, Madame, le plus expéditif des bouillons de onze heures. L'on l'imagine à grogner, pester, ronchonner, clouer ses ennemis au pilori. Ha! Le roi n'est pas son cousin. Vous n'êtes pas non plus sa cousine, Madame.
Sur ordre du roi, à n'en point douter, vous avez du renoncer à votre duché du Poitou ! Au fond, peu vous chaut. L'affaire semblait perdue. Vous êtes à présent ministre et tout laisse à croire que vous ne ferez pas longtemps votre content de la charge qui vous échoit. Votre charmant sourire trahit votre nature carnassière ... C'est votre seul point commun avec le comte Valls.
Si fait, Madame, une dernière question : qui de vous-même ou du Grand chambellan se fera servir la tête du roi ? Puisque nous vivons des temps assez irréels, imaginons qu'il vous vienne à l'esprit de réserver au roi le sort du tsar Pierre III ? Convaincue de son incapacité à régner, la tsarine Catherine, la grande Catherine, le fit égorger et monta alors sur le trône de l'empire russe. Vint alors un règne que Madame de Staël qualifia de "despotisme tempéré par strangulation."
On pourrait qualifier l'épisode présidentiel (fugace, je n'en doute pas) de M. Flou, sorti premier comme on le sait d'un concours de circonstances, de plaisanterie qui pourrait être fort distrayante si elle n'était destinée à durer encore trois ans.
Putain ! 3 ans !