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Loi Hadopi : Répression des internautes ou rémunération des artistes ?

Un article du Monde Diplomatique Industrialiser le contrôle et la répression des internautes, tel est le moyen retenu par le gouvernement pour renforcer les majors du disque et du cinéma, qui peinent à adapter leur offre à l’ère numérique, et dont le chiffre d’affaires serait grevé par les pratiques des usagers d’Internet (1).du 27 octobre 2008.



Loi Hadopi : Répression des internautes ou rémunération des artistes ?
Minimisant l’impact des évolutions économiques, techniques et sociales sur leur secteur d’activité, notamment la réduction des coûts de distribution du numérique, qui rendent plus difficile la logique d’exclusivité et de rareté de l’offre, les industries culturelles ont identifié le frein principal à leur croissance : le « piratage » sur Internet – comprendre, les échanges non marchands de fichiers culturels entre les usagers sur les réseaux peer to peer (2).


Le message, relayé par les représentants des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (3), est bien passé auprès du gouvernement. Contre l’avis du Parlement européen, qui à voté le 24 septembre 2008 à 88% en faveur d’un amendement réaffirmant qu’aucune restriction à la liberté d’information et d’expression ne pouvait être imposée sans décision préalable des autorités judiciaires, la ministre de la culture Christine Albanel a exposé, ce mardi 21 octobre, devant la commission des affaires culturelles du Sénat, les principes de la loi Création et Internet (4). Ce projet de loi sera présenté le jeudi 29 octobre en urgence au Sénat, et prévoit d’instaurer la « riposte graduée », processus par lequel une autorité administrative, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), pourra couper jusqu’à 1 000 accès Internet par jour, sur requête des ayants droit de l’industrie culturelle. Un projet jugé « monstrueux » par l’association de défense des consommateurs UFC - Que choisir, qui s’étonne que la France légifère seule, en parallèle et à l’encontre des décisions européennes (lire « Un projet monstrueux conçu par les marchands de disques, pour leur intérêt exclusif !  » (Que choisir)).


Pour les usagers d’Internet soupçonnés de n’avoir pas su empêcher que leur accès au Web serve à mettre à disposition une œuvre protégée par le droit d’auteur, l’Hadopi appliquera des sanctions allant de l’avertissement écrit à la suspension de la connexion, pour une durée variable d’un mois à un an, cependant que le titulaire de la ligne incriminée continuera de payer l’abonnement à son fournisseur d’accès. L’Hadopi s’inscrit dans la droite ligne de l’accord Olivennes (lire « Une vision consumériste de la culture ») et de la loi Dadvsi (lire « Projet DADVSI : la culture sous clé? » ), et s’ajoute aux sanctions du droit pénal, qui prévoit une peine maximale de 300 000 euros d’amende et trois ans de prison pour les délits de contrefaçon. Un second volet du projet envisage quant à lui le filtrage automatique des contenus sur Internet et la déconnexion de sites.


Répression industrielle et fichage des abonnés

Le gouvernement prévoit que l’Hadopi enverra automatiquement chaque jour 10 000 courriels d’information préventifs et 3 000 lettres recommandées aux récidivistes, tout en gérant quotidiennement la suspension de milliers d’accès Internet. Le but affiché de la manœuvre est de proposer un système suffisamment dissuasif pour que 70 % des usagers renoncent à leurs pratiques après le premier avertissement.

Concrètement, des sociétés de services informatiques privées collecteront sur les réseaux peer to peer les adresses IP des ordinateurs soupçonnés de permettre la mise en partage d’œuvres couvertes par le droit d’auteur. Ces adresses seront communiquées par lots à l’Hadopi, qui établira, grâce au concours des fournisseurs d’accès Internet, un fichier des abonnés suspectés. Ce fichier interdira à l’internaute dont la connexion aura été coupée automatiquement de reprendre un abonnement auprès d’un autre fournisseur d’accès.


Selon la ministre, le coût estimé de cette nouvelle administration et de son dispositif serait, pour la première année, de 6,7 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les coûts techniques supportés par les fournisseurs d’accès, évalués « à la louche » à 3 millions d’euros. Certains fournisseurs d’accès grincent des dents et expriment déjà leur scepticisme :


« L’Hadopi n’est pas aujourd’hui une bonne loi pour les Français. S’il s’agit de préserver les intérêts de quelques artistes qui gagnent beaucoup d’argent, ça n’a peut-être pas grand sens. Redéfinissons un certain nombre de choses, reprenons la licence légale, étudions un certain nombre de solutions alternatives, ne forçons pas le filtrage de milliers de choses pour simplement rendre service à quelques-uns », proposait en août dernier M. Xavier Niel, le président d’Iliad, la maison mère du fournisseur d’accès Internet Free (5).


La riposte graduée est présentée par une partie de l’Union pour une majorité populaire (UMP) comme une approche « équilibrée » destinée à effrayer les petits utilisateurs des réseaux peer to peer et à les ramener vers les offres « légales ». Mais aucune étude ne montre la fiabilité des méthodes de repérage des adresses IP. Pis, des chercheurs de l’université de Washington (6) montrent, dans une étude de juin 2008, qu’elles ne le sont pas, tandis que, de leur côté, des sites de communautés d’échange de liens peer to peer envisageraient déjà, selon le site Numerama, de diffuser de fausses adresses IP sur les réseaux (7).


Si l’on ajoute à cela que les bornes Wi-Fi elles-mêmes sont « piratables » par un tiers malveillant, la mise en place de la riposte graduée semble difficile sans risquer de condamner des innocents par erreur.


Les débats parlementaires qui se dérouleront à partir du 29 octobre seront instructifs et permettront de voir comment députés et sénateurs répondent aux inquiétudes liées à ce projet de loi, rejeté par de nombreux acteurs, et notamment par l’Association des services Internet communautaires (ASIC), qui regroupe entre autres Microsoft, Google, Yahoo, Priceminister et Dailymotion. Redoutant une « double peine » – un internaute peut être poursuivi à la fois par l’Hadopi et par le tribunal pénal –, elle dénonce la disproportion de la sanction (8).


Comme l’a fait remarquer le sénateur Serge Lagauche (Parti socialiste) à Mme Albanel lors de son audition, rejoignant sur ce point l’analyse du récent « Prix Nobel » d’économie Paul Krugman (9), « l’industrie culturelle ne doit pas s’abriter derrière son obsession du piratage, elle ne s’est pas adaptée aux nouvelles méthodes de communication ». La priorité reste le développement d’une offre légale moderne et attractive : catalogue illimité, coût modique, facilité d’usage sans verrous numériques (DRM), et développement des contrats de licences entre la filière audiovisuelle et les éditeurs de services sur Internet, dont les plus gros acteurs, comme Google, engrangent déjà des profits colossaux en proposant des services gratuits.


Vers un retour de la licence globale ?

Certains parlementaires feront peut être valoir que, si l’on voit bien les difficultés techniques et juridiques de la mise en place de la riposte graduée (10), les effets positifs sur la rémunération des artistes sont largement incertains (11).


Aussi certains députés (12) de tous bords, y compris de la majorité UMP (13), dénoncent le manque de vision économique qui a précédé ce projet de loi, et annoncent déjà qu’ils proposeront à nouveau un système de rémunération immédiate des artistes et des ayants droit par la redistribution d’une redevance, dont les modalités de collecte restent à définir en fonction des types de contenus (14).


Une préfiguration d’un tel système avait déjà vu le jour sous le nom de « licence globale » : elle avait même été votée à l’Assemblée nationale en 2005, pendant les débats sur la loi Dadvsi, avant d’être retirée presque aussitôt, grâce à un artifice juridique, sous l’impulsion du ministre de la culture d’alors, M. Renaud Donnedieu de Vabres, et la pression des ayants droit.


Comment seraient réparties les sommes perçues au titre de cette licence globale ? Le député UMP Alain Suguenot propose aux ayants droit de se fier aux méthodes qu’ils utilisent pour repérer les œuvres échangées sur les réseaux peer to peer. Mais, dans ce cas de figure, la répression et le fichage nominatif des internautes seraient abandonnés au profit de la rémunération des artistes et ayants droit.


Vincent Caron


(1) Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) estime que « les pratiques illicites en matière de téléchargement de contenus non autorisés sont depuis cinq ans un phénomène de masse qui a détruit près de 50% (soit 500 millions d’euros) de la valeur du marché de la musique en France ». De son côté, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) s’inquiète que 450 000 films récents soient téléchargés chaque jour illégalement en France, ce qui constituerait « un phénomène majeur qui peut mettre en péril l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel ». Pourtant, selon le Centre national de la cinématographie (CNC), le nombre d’entrées en salles en France a augmenté de 2,5 % en un an, tandis que la vente de DVD de films a augmenté de 2,1% entre les premiers semestres 2007 et 2008 ; lire : « Le téléchargement illégal de films se porte bien en France » (Ecrans).

(2) Le peer to peer est une architecture de réseaux informatiques qui permet un partage, pair à pair, de fichiers entre utilisateurs, mais aussi d’autres applications comme la téléphonie sur Internet.

(3) La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) a publié sur son site Internet une pétition de soutien au projet de loi ; le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC) dénonce quant à lui dans un communiqué l’accaparement par le public de la propriété des auteurs et des cessionnaires de droits.

(4) Christine Albanel devant la commission des affaires culturelles du Sénat (vidéo)

(5) Hadopi : Xavier Niel repart à la charge contre le filtrage (PC Inpact)

(6) « Challenges and Directions for Monitoring P2P File Sharing Networks – or – Why My Printer Received a DMCA Takedown Notice » (PDF)

(7) The Pirate Bay rend la riposte graduée dangereuse pour tous ! (Numerama)

(8) Benoit Tabaka (Asic) : « Le projet de loi Hadopi, c’est la double peine  » (Le Journal du net)

(9) Dans un éditorial du New York Times publié le 6 juin 2008, Paul Krugman estimait qu’avec le numérique, « quel que soit le produit (logiciel, livres, musique, films), le coût de la création devra être récupéré indirectement ».

(10) Même si la loi était effectivement appliquée, les usagers pourraient bien se tourner vers des solutions variées de contournement de l’Hadopi : l’utilisation d’un proxy pour se connecter avec une adresse IP à l’étranger inconnue des FAI français ; l’usage de réseaux peer to peer anonymes et cryptés (développés à l’origine pour permettre la connexion sécurisée des internautes dans les pays totalitaires). Comme l’énonce la ministre elle-même, on n’arrivera jamais au « zéro piratage ».

(11) D’autant qu’à l’heure actuelle les artistes et les auteurs gagnent très peu sur chaque titre de musique vendu en ligne : les éditeurs et les artistes se partageraient 9 centimes par morceau vendu 0,99 euro sur Itunes, soit une estimation de 2 à 7 centimes pour les auteurs et artistes.

(12) Appel contre une loi d’exception pour l’Internet, signé dans Libération en juin 2008 : Patrick Bloche, Christophe Bouillon, Christophe Caresche, Olivier Dussopt, François Lamy, Jean-Marie Le Guen, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Didier Migaud, Christian Paul, Manuel Valls, députés. Nicole Bricq et Bariza Khiari, sénateurs, Guy Bono, député européen.

(13) Le député UMP Alain Suguenot se prononce en faveur d’une sorte de licence globale et dénonce les dérives de la loi Hadopi ainsi que les accointances du ministère de la culture avec les ayants droit ; lire « Alain Suguenot : « La loi sur le téléchargement crée une double peine » » (20 minutes).

(14) Ce fonds serait prélevé sur le prix des abonnements Internet et/ou via une taxe spécifique sur les fournisseurs d’accès (comme cela a été adopté pour financer l’audiovisuel public), et dans la lignée du système de redevance prélevée sur les achats de support vierges (disques durs, baladeurs, cédéroms), qui génère des revenus en progression chaque année.


NDLR

En dépit des contorsions de Dame Albanel (et de son mentor) cette loi, comme beaucoup d'autres votées pendant l'ère Sarkozy, n'a aucun avenir. Si elle n'est pas retoquée par le Conseil Constitutionnel, si elle est appliquée (80% des lois votées depuis Sarko n'ont jamais reçu le moindre commencement d'exécution !) elle sera attaquable devant les instances européennes. Qui, jusqu'à preuve du contraire, s'imposent à la dame en question, et même à Sarkozy.

Mardi 28 Octobre 2008

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