Les éditions Climats ont eu la bonne initiative de publier le passionnant échange entre deux penseurs aujourd’hui disparus (l’américain Christopher Lasch et le français Cornelius Castoriadis) consacré à la Culture de l’égoïsme qui se répand, parallèlement à l’emprise croissante du marché dans tous les aspects de nos sociétés.
Ce texte prémonitoire qui date de 1986 avait bien anticipé la dégradation de l’équilibre entre le souci individuel et le souci du bien commun au profit du premier, qui n’a cessé de se déployer, mu par « le primat égoïste de l’intérêt bien compris », comme le dit philosophe Jean-Claude Michéa dans la longue postface qui accompagne cet entretien jusqu’alors inédit.
Ce texte prémonitoire qui date de 1986 avait bien anticipé la dégradation de l’équilibre entre le souci individuel et le souci du bien commun au profit du premier, qui n’a cessé de se déployer, mu par « le primat égoïste de l’intérêt bien compris », comme le dit philosophe Jean-Claude Michéa dans la longue postface qui accompagne cet entretien jusqu’alors inédit.
Cette dynamique de l’égoïsme est à l’œuvre partout et une actualité dans le domaine sanitaire en offre une illustration décalée mais très pédagogique : l’allergie aux vaccinations progresse au point de devenir inquiétante.
Pour comprendre ce qui se passe et en quoi cela a à voir avec l’égoïsme, il faut un petit détour préalable relevant de l’épidémiologie pour comprendre que les conditions de la couverture vaccinale d’une population constitue un petit modèle politique d’équilibre entre risques privés et collectifs, intérêts individuels et intérêt général.
Le double but d’une vaccination est de protéger les individus contre les maladies infectieuses graves et de limiter, voire supprimer, les possibilités de reproduction de l’agent pathogène. Il faut rappeler que la découverte du principe vaccinal fut un grand progrès de l’humanité, mettant fin à des maladies aussi fréquentes que mortelles ou invalidantes. Une population vaccinée est collectivement mise à l’abri de risques graves et certains (la tuberculose tuait encore 25 000 personnes en France en 1950). Cela au prix de risques infimes mais jamais nul d’accidents graves dont sont régulièrement victimes quelques vaccinés. Mais la balance entre risque collectif et risque individuel est sans ambiguïté.
Compte tenu des modalités de diffusions de la plupart des maladies, il suffit, pour qu’une population soit protégée de manière efficace, que, selon les pathologies, de 70 % à 90% de ses membres soient vaccinés. La figure - bien connu dans le milieu médical, par définition bien informé de ce phénomène épidémiologique - du médecin faisant vacciner les enfants des autres mais pas les siens est compréhensible. Mais aujourd’hui la non-vaccination a pris une forme de rébellion aussi branchée que massive. Il faut dire que les erreurs monumentales commises par Roselyne Bachelot dans l’affaire de l’épidémie du H1N1 n’ont pas arrangé les choses en portant un tort considérable à l’image de la vaccination.
Ce noyau des réfractaires confortablement protégés par la vaccination des autres, maintenu par le passé sous la barre des 5%, se rapproche aujourd’hui des 20-25%. L’Institut national de veille sanitaire vient de publier il y a quelques jours un rapport alarmiste estimant que le taux de couverture est ainsi devenu insuffisant « pour la plupart des vaccins ». La recrudescence, ces dernières années, des cas de rougeole (maladie mortelle ou très handicapante) en est un exemple.
Il y a deux moyens d’atteindre un bon taux de couverture : l’obligation légale ou la liberté de vaccination avec propagande intensive et soutenue comme dans les pays anglo-saxons et nordiques. A chaque relâchement, sa catastrophe. La Grande-Bretagne a connu il y a trente ans un épisode assez démonstratif. Une campagne hostile à la vaccination contre la coqueluche relayée par les médias à partir de quelques accidents vaccinaux sérieux avait fait chuter le taux d’immunisation de 80% à 30%. Une épidémie de coqueluche soudaine provoqua en 1982 près de 100 000 cas de coqueluche dont plusieurs dizaines de décès.
La démarche anti-vaccinale, revendiqué au nom des libertés individuelles – « c’est mon choix » – relève donc d’un égoïsme social bien établi puisque une petite minorité pense se dispenser de tous les risques – le gros (la maladie) et l’infime (l’accident vaccinal) – sur le dos de la majeure partie de la population. Ces faux rebelles comptent sur les autres (toujours les mêmes) pour assumer les conséquences et le prix de leurs positions égoïstes, à l’égal de ceux qui plaident pour une immigration sans limites mais vivent dans les beaux quartiers ou ceux qui répètent que tout va bien à l’école en mettant leurs enfants dans le privé. Pour la protection vaccinale, cela ne marche plus.
Source : Eric Conan - Marianne