Extrait
Notre film s’ouvre sur une joyeuse cité américaine au sein de laquelle un riche et bel homme fait son jogging, pendant qu’une étudiante fait des trucs comme, tiens, hop, étudier, c’est fou. Et nous la retrouvons un petit moment plus tard chez elle en compagnie d’une autre fille. Mais qui sont elles, ces bougresses ? Hé bien, il s’agit de Kate, la blonde, et d’Anastasia Steele, la brune. Et c’est sur cette dernière que nous allons nous attarder, même si ça, elle le fait déjà très bien toute seule tant son jeu d’acteur semble tout droit sorti d’un spectacle de fin d’année d’IME. Car voilà, Kate étudie le journalisme et est parvenue à décrocher un rendez-vous avec le célèbre Christian Grey, éphèbe multimilliardaire à qui tout sourit, surtout les nunuches décérébrées. Seulement, Kate est malade ! Elle est en effet dans un état lamentable à manger de la soupe devant une rediffusion de Friends (l’un des gros symptômes de maladie chez la femelle homo sapiens), et a donc plusieurs options :
- Prévenir qu’elle devra décaler le rendez-vous
- Envoyer un de ses camarades de promotion de journalisme à sa place
- Se rappeler qu’elle bosse pour le journal de la fac et que par conséquent tout le monde s’en fout et personne ne le lit
Mais l’option 3 n’est pas valable puisque nous sommes dans un film américain, où n’importe quelle étudiante peut interroger le président des Etats-Unis pour la gazette de l’université ou obtenir l’accès à une scène de crime en invoquant le journal du lycée. Ce pourquoi Kate a choisi l’option 4 :
« Envoyer ma coloc, qui n’a strictement rien à voir avec la choucroute. »
C’est donc notre héroïne Anastasia Steele qui s’y colle. Que dire d’Anastasia Steele ? Hé bien ma foi, que c’est une jeune fille que dès la première scène, on a envie de barbouiller de napalm. Entre sa frange improbable (toute l’équipe du film devait provenir de l’IME, coiffeur compris), sa capacité à s’habiller avec du papier peint volé chez des personnes âgées ou surtout, sa propension à se mordiller la lèvre inférieure pour un oui ou pour un non, cela suffit à vous faire comprendre au bout de deux minutes que le film va être très, très long. Mais peut-être que je n’ai pas compris et qu’en fait les grosses lèvres d’Anastasia Steele lui permettent de stocker de la nourriture ? Un remplacement malheureux dans le script de « herpès labial » et « hamster labial » aurait accidentellement pourvu Anastasia d’une bajoue dans laquelle elle peut régulièrement puiser de quoi se sustenter ? Un coup de dent et paf, elle récupère un Skittle, deux et elle peut remonter une saucisse de Morteau en cas d’urgence ?
Qu’importe.
Car Anastasia, après avoir emporté les questions préparées à l’avance par sa colocataire (« Ça vous fait pas chier de vous appeler Chrétien Gris ?« ) et meilleure amie saute dans sa coccinelle vieux modèle et file vers Seattle où en bonne grosse plouc des familles, lorsqu’elle s’arrête devant l’immeuble de Grey Corp où il y avait une place pile pour elle, elle lâche un « Ouaaaaah ! » d’admiration.
Ben oui, tu penses, un immeuble. Avec des vitres, et tout ! C’est tellement rare dans une ville moderne ! Ai-je raté le passage où on nous annonce que la bougresse vit en fait dans une hutte en crottin ?
En tout cas, notre simili-journaliste file dans la bâtisse, franchit les étages, se fait annoncer, franchit la porte du bureau de Monsieur Grey et… se vautre comme une bouse.
« Hihihihi, qu’est-ce que je suis gourde ! Comme je suis pauvre et innocente, je suis forcément aussi super maladroite, huhuhuhihihihihuhuhihihihihihihi.«
Vous ai-je parlé du rire d’Anastasia ? Il est proverbial. Car si son prénom sonne comme « impératrice », son rire sonne plutôt comme « Philippe Bouvard ». En tout cas, Christian Grey n’a lui probablement pas d’oreilles car plutôt que de battre à coups de pieds cet espèce de gros rideau qui rit comme un phoque sur le sol de son bureau pendant qu’il le peut encore, il va l’aider à se relever et découvre sous les motifs à fleur et la frange digne du cousin Machin une fille. Ça alors, c’est pas banal !
« Vous ne vous êtes pas fait mal ?
- Hihihihuhuhuhihihihih ho nooooon hoooolalala, hoooo mais quelleuuuuh gourdasseeeuuuh !
- Quel jeu d’actrice aussi, je suis bluffé.
- Merci. Au fait, je ne suis pas Kate, la fille que vous attendiez : je suis Anastasia Steele.
- Une amie d’école de journalisme ?
- Non, non. Sa coloc’.
- Heu… d’accord. Et vous étudiez ?
- La littérature anglaise.
– Donc vous n’avez rien à foutre ici, en fait ?
– Complètement.
– C’est cool. Commençons. »
Anastasia s’installe donc nerveusement sous le regard de Christian Grey. Elle déballe ses affaires, son enregistreur & co, et puis pouf, elle se dit qu’en fait, tiens, ce serait bien d’avoir un crayon parce que les enregistreurs, ça n’est pas justement fait pour pouvoir écrire par la suite. Christian Grey lui tend donc un crayon à papier sur lequel nous reviendrons plus tard. Et c’est parti pour l’interview.
« Bon alors, bonjour Christian Grey. Comment ça va ?
– Ça va bien, merci.
– Christian Grey, première question, vous êtes super méga riche, avez un immeuble géant tout ça… comme le film oublie d’en parler, c’est quoi votre métier en fait ?
– Vous êtes mauvaise langue : un coin du script évoque des domaines très vagues, et des investissements agricoles en Afrique.
– Oui mais le script dit aussi que ce n’est pas votre cœur de métier.
– D’accord, j’avoue. Je suis le plus gros fabriquant mondial d’ouvertures faciles.
– Ho ?
– Oui, j’aime provoquer la douleur chez autrui.
– Très bien, deuxième question : pourquoi votre bureau est-il aussi grand ? Avez-vous un tout petit truc à compenser ?
– Je joue beaucoup à Super Mario Kart sur ma chaise à roulettes. Quand je tombe, ma secrétaire vient me chercher avec une petite canne à pêche pour me remettre sur pied et hop, je repars.«
Quoi les vrais dialogues ? Je vous assure qu’ils sont plus ridicules que ce que je vous mets ici pour vous préserver. Tous tournent autour de grosses déclarations aussi subtiles qu’originales, du genre « Oui, si je suis super fort en affaires, c’est parce que je sais lire qui sont vraiment les gens au premier coup d’œil. J’aime SAVOIR et CONTRÔLER dans TOUT CE QUE JE FAIS CLIN D’OEIL CLIN D’OEIL SI TU VOIS C’QUE J’VEUX DIRE NARDINAMOUK«
Subtil, on vous dit.
La suite ici [http://goo.gl/Y9Q1bW]
Avouez que ce spoiler (désigne un document ou un texte qui dévoile tout ou partie de l'intrigue d'une œuvre) nous change agréablement de certaines critiques de films, soporifiques à souhait.
«Cet odieux connard» a un style enlevé, parfois désarçonnant, c'est le moins qu'on puisse dire. J'aime bien, à la réserve près, qu'il en fait, lui aussi, un peu trop. Ça peut fatiguer à la longue. Mais sa parodie de ce film ignare est absolument désopilante et je présume, car je n'irai jamais le voir, assez proche tout de même de la désolante adaptation d'un roman lui-même affligeant.
Il n'en reste pas moins que ce film fait un tabac actuellement sur les écrans de France, après un démarrage en trombe aux USA, comme d'ailleurs les livres dont il est issu. Il se trouve que le public de ce film est constitué majoritairement de femmes, ce qui ne manque pas de nous interpeller, nous les hommes qui n'iront jamais le voir. A ceux qui seraient tentés malgré tout, je rappelle qu'il ne se passe strictement rien dans ce film, du moins en ce qui concerne ce que la plupart des hommes attendent d'un tel sujet.
De fait, je pense que nous somme là au coeur du problème. Les femmes et les hommes ont une approche complètement différente de la sexualité. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes.
Pour faire court, si j'ose dire, les hommes aiment voir, les femmes préfèrent imaginer. Ce film est nul mais, je présume, pour une femme, il permet d'imaginer plein de choses excitantes. Dont, notamment tout ce qui tourne autour du sadomasochisme, dont les femmes ont généralement peur, mais qui, semble-t-il, les excite. Je rappelle que plusieurs femmes ont été interpellées par la police pour s'être masturbées pendant la projection de ce film.
Ceci me rappelle furieusement un récent article du site «Les 400 culs» dont j'ai récemment parlé sur ce site: «Excitée ? Moi, jamais !»
Dans cet article, on relate une expérience scientifique faite avec des femmes, à qui l'on projette des scènes de sexe aussi variées que diverses, et à qui on demande si elles ont été excitées. Mais comme on leur a installé «in vagina» un appareil pour vérifier leurs sécrétions intimes, il est aisé de constater un flagrant décalage entre ce qu'elles disent, ou ce qu'elles pensent, de leur excitation et la réalité. Un tel décalage n'apparaît pas chez les hommes soumis à la même expérience et aux mêmes vérifications scientifiques, évidemment beaucoup plus faciles à effectuer.
Il semblerait donc que les femmes apprécieraient aussi les représentations sexuelles, même crues, mais auraient du mal à l'avouer. Un ps, dont je ne me rappelle plus le nom, aurait précisé que ce hiatus tiendrait à la conformation physique des organes génitaux féminins et masculins. L'excitation sexuelle étant, par nature, visible chez un homme, et cachée chez une femme. Il serait donc plus difficile d'avouer une excitation cachée qu'une érection évidente.
Je nuancerais en disant que c'est peut être de moins en moins vrai chez les jeunes femmes. En effet, leur éducation sexuelle, en particulier sur Internet, n'a plus rien à voir avec celle qui fut le lot des femmes plus âgées, chez qui, vu les tabous qui régnaient dans ce domaine à l'époque, l’imagination ne pouvait pas manquer de tenir une place prépondérante. A l'époque d'ailleurs, les romans à l'eau de rose, ou les romans photos du même tonneau, assez proches finalement de 50 nuances de grey, en moins hard quand même, connaissaient aussi une très grande vogue chez leur public essentiellement féminin. Pendant ce temps les hommes, eux, achetaient et se passaient sous le manteau des revues ou des cassettes franchement pornographiques.
En d'autres termes je pense que ce film attire, et attirera, peu de jeunes femmes et beaucoup plus de femmes plus âgées. Les couguars exceptées.
Attendez encore un peu et je pense que les femmes et les hommes auront une attitude à peu près similaire en ce qui concerne les choses du sexe. Avec toujours une nuance plus érotique chez la femme et plus pornographique chez l'homme.
Ce qui n'aura rien de surprenant car, pour paraphraser André Breton, dans le couple comme ailleurs, la pornographie c'est bien connu, c'est l'érotisme de l'autre.